La fuite de compétences en Afrique: comment garder les talents sur le continent?

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Ecoles au Sénégal
11 May 2022
Si l'économie s'est mondialisée, l'éducation fait de même. Désormais, la question de la mobilité étudiante fait partie des préoccupations du milieu universitaire. Toutes les facultés du monde essaient d'attirer les esprits brillants. Ainsi, en excluant la période de la Covid, beaucoup se sont expatriés pour obtenir une meilleure éducation. L'Afrique n'y échappe pas. Bien des jeunes hommes et femmes s'inscrivent dans des établissements aux États-Unis ou en Europe pour accéder à une formation supérieure.

Or, particulièrement dans le cas africain, un pourcentage important ne reviendra pas en terre natale par la suite. Cet exode de compétences sur le continent n'a rien de neuf. Déjà en 1968, l'UNESCO prévenait contre l'émigration des élites scientifiques et des techniciens en Afrique. Plus de 50 ans plus tard, la situation ne s'est pas améliorée, bien au contraire.


L'herbe plus verte ailleurs

Une immense partie de la jeune génération dans différents pays africains cherche à partir pour de meilleurs cieux. La Tunisie, deuxième pays arabe en matière de fuite des cerveaux, constate que ses étudiants n'en peuvent plus de la crise économique, politique et sociale. Évidemment, cela nuit à l'économie du pays. Bien des entreprises ne parviennent plus à recruter de jeunes talents aux compétences précises. Le milieu médical aussi voit ses effectifs se réduire et n'arrive pas à se renouveler.

La situation est similaire dans d'autres contrées comme l'Égypte où 89,4% de plus de 700 étudiants en médecine interrogés par des chercheurs de l'OMS (Organisation mondiale de la Santé) souhaitaient émigrer. Pourquoi? Parce que n'importe où ailleurs semble plus accueillant et intéressant que les hôpitaux égyptiens pour y travailler. Le salaire y est famélique, l'État ne reconnaît pas leur valeur et un pourcentage important vivent de la violence verbale (55,5%) et même des assauts physiques (35,4%).


Une diaspora bénéfique pour l'Afrique?

Ce type de désamour et cet exil de la jeunesse ont de quoi inquiéter les pays africains qui auraient besoin de cette relève. Cela n'est pas totalement négatif selon certains intervenants. Par exemple, ce maitre de conférences rappelle que le problème réside dans des systèmes scolaires africains qui sont inadéquats face aux demandes de l'économie. Le sous-emploi chez les jeunes Africains y est donc endémique. En quittant leur terre natale pour de meilleures études, ils ont plus de chances de dénicher dans les pays d'accueil des postes plus prestigieux avec une rémunération supérieure. Pour certains, cet exode assurerait un avenir plus radieux à long terme pour le continent. Des expatriés se trouvant à la direction d'organisations internationales permettront possiblement un éclairage plus important sur les besoins africains.

D'autant plus que les liens ne sont pas coupés avec leur terre natale. Plus que jamais des transferts d'argent se font de la diaspora vers leur pays d'origine. La mise en place de leviers comme des "Diaspora bonds" pour sortir les États de la dette ou l'institution d'une saison annuelle pour partager les connaissances et expériences avec la communauté africaine pourrait fortement l'aider.


Arrêter la saignée

Néanmoins, malgré cette vision positiviste de l'exode, il n'en demeure pas moins que toutes les régions en souffrent actuellement. L'Afrique vit une importante pénurie de personnel médical et pendant ce temps les pays occidentaux profitent de ces nouveaux médecins. En 2035, le continent atteindra un déficit 4,3 millions de spécialistes de la santé.  Ce manque a été cruellement perçu avec la pandémie de covid-19 qui, en plus, a emporté quelques-uns des praticiens, infirmières, etc. Ainsi, l'Ouganda n'avait en juillet 2021 que 3 neurochirurgiens pour 44 millions d'habitants. Le Canada, avec 35 millions, en possède plus de 150. Ce sont des milliards de dollars de perdus pour les pays qui voient leurs spécialistes être siphonnés. Au Gabon, la facture de l'exode des compétences équivaudrait à 60 milliards de Franc CFA par an  (près de 97 millions de dollars américains) depuis 1967.

Cet exode des compétences se vit aussi dans le domaine de l'informatique et des technologies de la communication. Entre 2015 et 2019, 70 000 spécialistes nord-africains sont partis pour l'Europe, l'Amérique du Nord ou l'Asie. Une perte importante dans un monde en pleine numérisation. Ces esprits brillants ne reviennent pas pour moderniser les infrastructures et les techniques de leur pays natal après leurs études.

Alors, que faire pour arrêter la saignée de talents? La recherche auprès des jeunes médecins égyptiens révèle que 95% d'entre eux resteraient avec des réformes. Donc, une immense partie de la solution repose dans l'attitude gouvernementale afin de garder ce bassin de compétences.

Cela veut dire assurer de meilleures conditions de travail que celles en vigueur dans les différents secteurs demandant des élites. Difficile de conserver l'intérêt des jeunes quand ils savent qu'ils feront cinq ou dix fois plus d'argent ailleurs dans le monde que chez eux. Ainsi, des pays comme l'Ouganda commencent à investir des sommes importantes d'argent afin que les jeunes scientifiques restent. Des investissements qui semblent payer petit à petit puisque certains adultes laissent tomber l'idée de s'expatrier.

Néanmoins, selon le professeur Carlos Lopes qui a été membre de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique entre 2012 et 2016, les gouvernements africains doivent arrêter de créer des petits programmes spécifiques pour garder sa jeunesse. Comme il le rappelle, dans des contrées où 80% de la population est jeune, il faut proposer quelque chose de plus global afin que tous en bénéficient et qu'une plus grande partie veuille rester.


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