"Aawo bi / La première épouse" de Maam Yunus Jeŋ (Mame Younousse Dieng)

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Ecoles au Sénégal
07 April 2022
Mame Younousse Dieng est une femme de lettres sénégalaise. Après des études secondaires au Collège Ahmeth Fall de Saint-Louis, elle a choisi de se lancer dans l'enseignement. Elle devient institutrice, en 1960, et directrice d'école. Mame Younousse Dieng écrit en français et en wolof. Elle est notamment l'auteur du premier roman dans cette langue nationale, "Aawo bi" (La Première épouse), publié en 1992 à Dakar, et de "L'ombre en feu", publié en 1997. On lui doit aussi la traduction de l'hymne national du Sénégal en wolof (1961) et un recueil de poèmes "Jeneer" (Rêve).

Contexte

Maam Yunus Jeŋ [Mame Younousse Dieng] (1939-2016), qui fut institutrice et directrice d’école, naquit au Sénégal à Tivaouane dans le Cayor. Elle passa son enfance dans une grande concession d’un foyer polygame, avec ses nombreux va-et-vient, ses bavardages et ses commérages, tout ce qui faisait le quotidien d’une société de culture orale. Dans la cour de la concession familiale, les griottes (géwel) racontaient souvent des récits de vie. C’est de là que lui vint l’inspiration du roman, qu’elle écrivit en à peine un mois.Maam Yunus Jeŋ est la première romancière à écrire en wolof. Elle a également publié un roman en français, L’ombre en feu (Dieng, 1997).


Descriptif

Le genre dont relève l’œuvre est indiqué par l’expression Fentaakon bi, du verbe fent « créer, inventer ». L’ouvrage appartient à la collection Teere fent « ouvrage de fiction », dont il est le cinquième titre. Le texte de quatrième de couverture est bilingue wolof-français. On y trouve une biographie sommaire de l’auteure.

Le roman est dédié à deux « premières épouses » aawo : la mère de l’auteure et Aram Fal, linguiste, pionnière dans l’édition en langues nationales. Dans les deux pages qui suivent la dédicace, Maam Yunus Jeŋ s’adresse à la personne qui lit le livre en lui demandant de ne pas se contenter de lire le roman ; il faut, à son tour, qu’elle prenne la plume et qu’elle l’imite. Dans son exhortation, elle insiste sur la facilité qu’il y a à écrire en langue nationale : il n’y a, là, rien d’extraordinaire, tout le monde peut raconter quelque chose ou discuter dans sa langue maternelle.

Le roman est le récit d’une griotte qui est arrivée en retard au rendez-vous qu’elle avait chez sa coiffeuse et qui s’explique : elle devait assister à une cérémonie d’au revoir organisée pour le départ à La Mecque de Ndeela, le personnage principal. Le motif du récit, initialement destiné à agrémenter une séance de coiffure, est l’occasion pour la griotte de montrer le mérite de Ndeela pour qui son mari a organisé un pèlerinage à La Mecque : l’acceptation d’un mariage difficile où elle doit cohabiter avec toute sa belle-famille, où elle doit supporter une co-épouse qu’elle a à adopter et où elle doit s’occuper d’une nombreuse progéniture.


Extrait de l'oeuvre


Aawo bi — [La première épouse]



Mots-clés: wolof, Sénégal — écriture littéraire, roman ; romancière — mariage, polygamie, première épouse, coépouse, belle-famille ; griotte.



Bi Penda Géwél yemee ci ndés giy lale fi taatu garab gi gëmewu ko, ndax sonn. Dafa dal ni futtéet mbubbam wékk ca sàkket wa ni réjj diju te naan : « dara masta dàq lii ; man dama bég bay jooy ».

Quand Penda la griotte tomba sur la natte étalée sous l’arbre, elle n’en crut pas ses yeux, à cause de la fatigue. Elle enleva d’office son boubou et le suspendit à la tapate et s’affala en disant : « Rien n’est plus agréable que ceci ; moi je suis émue jusqu’aux larmes ».

Na ko Fama dégg, fëkk potu diw baak yoos ma génnsi te naan ko : « man déy xaar naa la ba tàyyi, xàddi woon na sax ; ragal naa ni sunu létt yii du yegg tey ; foo jógeeti bay jooy ?

Dès que Fama l’entendit, elle rafla le pot de pommade et les mèches et sortit en lui disant : « moi en tout cas je t’ai attendue en vain, j’avais fini par perdre espoir ; je crains que nos tresses ne puissent être achevées aujourd’hui ; d’où viens-tu encore jusqu’à pleurer ?

— Ay Faama, xanaa ca ngungem Màkka ma ; céy jii jëf !


Ah Fama, de la cérémonie d’au revoir pour la Mecque ; ah quel geste !

— Wallaay ndeysaan ! man dey biig laa fa demoon yóti ko daqaar. Gis nga àddina de, lu waay muñ mu jeex. Ndeela dey, paasam bi jombut ko ndax man dey fekkewuma lépp, waaye li ma jot a gis metti na.

— Comme c’est émouvant! moi, c’est hier soir que j’y suis allée lui apporter des tamarins. Tu vois la vie, tout ce qu’on supporte passe. Ndéla en tout cas, mérite bien ce billet parce que moi je n’ai pas assisté à tout, mais ce que j’en ai vu a été dur.

— Man maa teewe cocc ba coset, dara umpu ma ci ; déglul tey ma wax la fi Ndeela jaar ba agsi fii : Ndeelaa nga baaxoo dëkk buñ naa Dooxiif. Ay baayam a fay falu. Digganteem ak fii, am xéy la booy war, boo koy dox nag dinga yendu mbaa nga fanaan àll. Dêkk la boo xam ni, Yàlla wàcce na fag naat, dara jeexu fa : am nam ndox, suuf sa nangu na, jur ga tubaarfakàlla –xéewal ba dem na ba ci, nit ña sax da ñoo rafet. Bala nga ko doon gëm, nga gisoon Ndeela mii bim fiy wàccsi. Mast a réy naam, waaye taar ci moom la yemoon. Ndaama yëgut njool lees ko tudde woon ; nun géwél yi nu daa ko taasul naa ko : « gàtt, saf, nijaayam du ko wecceek njool mu tóoy » ! billaay barke Séex, booba loxo wubu ko. Ma ni ab taar ci moom la yemoon : loosam wi da noon rajj ak ndomboy bat, mu xees ba mel nib naar, taatam wi ni toŋŋ ni ku book leket !

Moi j’ai vécu tout, du début à la fin, rien ne m’a échappé ; écoute aujourd’hui que je te dise l’itinéraire de Ndéla jusqu’à ce moment : Ndéla est originaire d’un village appelé Dooxiif [tu n’auras jamais faim]. La chefferie y est occupée par sa branche paternelle. Entre là-bas et ici, c’est une matinée si tu vas à cheval, si tu vas cependant à pied, tu passeras une journée et peut-être la nuit en chemin. C’est un village, où Dieu a fait descendre de l’abondance, rien n’y manque : ils ont de l’eau, le sol est fertile, le bétail, Dieu merci. La félicité est à ce point que les habitants sont beaux. Si tu en voulais des preuves, il fallait voir Ndéla à son arrivée. Elle n’a jamais été forte mais elle était la beauté même. On l’avait surnommée la petite qui ne se préoccupait pas des géants ; nous les griottes la chantions en disant : « Petite et succulente, son mari ne l’échangera pas contre une grande indolente » ! Au nom de Dieu et par la grâce de Cheikh, en ce temps-là aucune main ne l’avait abîmée. Je dis que la beauté se limitait à elle : son cou était garni de replis, elle était claire comme une Mauresque, son fessier évoquait une calebasse !

— Xanaa déet, Ndeela mii ?

Ah non, cette Ndéla ?

— Des na di : gëtam yii, da daan saamandaay i seetu, gëñam yii nag, góor gu mu ko mas ni kaŋ, nga fàtte sa turu jabar !

Ce n’est pas fini : ses yeux ressemblaient à des miroirs, quant à ses dents, l’homme à qui elle les montrait en oubliait le nom de sa femme !

— Nga ni ma ? Mbaa masta ree saa nijaay di.

Que me racontes-tu ? J’espère qu’elle n’a jamais souri à mon mari.

— A, xawma de, waaye bari na góor ña mu gëlëmloo fii ci dëkk bi !

Ah, je ne sais pas, mais il y a beaucoup d’hommes qu’elle a perturbés dans ce village !