Le roi pleurait la disparition de son animal préféré, un bouc qu'il avait nommé Monplaisir. Il promet une fortune à celui qui pourra lui apporter quelques éclaircissements sur cette mystérieuse disparition. En vérité, Malice était le coupable. Il avait tué Monplaisir, l'avait dépecé, avait tanné sa peau et avec sa chair s'était concocté un délicieux tasso de cabri.
Il se présente devant le roi et lui donne le conseil suivant : « Lors de la veillée de prière pour Monplaisir, demandez donc aux participants d'offrir une chanson ou un poème. Vous trouverez, peut-être, quelques indices qui vous éclaireraient sur la disparition de Monplaisir que vous aimiez tant. Sire mon roi, croyez bien que je compatis à votre douleur », ajoute Malice qui échafaudait un plan diabolique contre son souffre douleur préféré, Bouki le balourd. Le roi se laisse tenter par la proposition de Malice mais, néanmoins, lui promet le pire des supplices, en cas d'échec.
Malice, donc, coupe dans la peau du Bouc qui avait fait son régal, un habit fort élégant, et compose une chansonnette avec paroles et mélodie. Il convoque Bouki et lui fait miroiter que le roi propose au plus élégant des invités de la veillée mortuaire les meilleurs morceaux du banquet et en outre il offre cinq barils d'argent à celui qui offrira la plus jolie chanson composée en l'honneur de Monplaisir. « Hélas, glisse Malice, j'ai tout ce qu'il me faut, habit et chanson, mais je souffre d'un "gaz" qui me paralyse l'épaule et je ne pourrai pas participer à la veillée ».
Bouki se tortille, tousse, se gratte le crâne et pleurniche. Il pourrait fort bien remplacer Malice, vus leurs liens d'amitié.
- Je te vends l'habit à prix d'ami, un baril d'argent, propose Malice.
- Top là, fait Bouki qui tombe dans le panneau. Et la chanson ?
- Également à prix d'ami.
- Un baril d'argent ? coupe Bouki, qui, très rapidement, avait calculé qu'il lui resterait trois barils d'argent, des cinq que lui donnerait le roi, en récompense de son élégance et de son chant.
Le soir de la veillée mortuaire le palais déborde de monde. Le roi n'a pas lésiné, c'est une veillée digne de celui qui lui donnait tant de plaisir. Des bœufs entiers rôtissent sur de grands boucans, des porcs cuisent à la broche, d'innombrables barriques de rhum coulent à flots. Bouki, gonflé comme Léon le paon, s'avance en relevant les pans de son habit. Il arrive juste à temps pour chanter :
« Wa,wa,wa m'tande ou fè yon rasanble
Ou pa t envite mwen
Ala m' tande ou pedi Monplezi
Men po li sou do mwen
Ren ben den beng
Men kui li so do mwen. »
L'assistance s'agite, le roi encourage le chanteur à donner à nouveau de la voix. Bouki s'exécute aussitôt :
« Roi, Roi, Roi, j'apprends qu'il y a une veillée à laquelle je n'étais point convié.
J'apprends, de même, la perte de Monplaisir.
Voilà sa peau sur mon dos
Ren ben den beng
Voilà son cuir sur mon dos. »
Les invités enhardis s'approchent de Bouki, tournent autour de lui et palpe le vêtement. C'est en effet la peau de Monplaisir que le chanteur a sur le dos. Le roi, terrassé, ordonne à ses gardes de s'emparer de l'assassin et de le battre à coups de bâton, à coups de coco-macaque. Bouki tente de s'expliquer : « C'est la faute à Malice. »
Malice, qui s'était glissé dans l'assistance, crie aussitôt aux gardes de lui rompre les dents, de ne pas le laisser parler sinon Bouki prononcerait une formule magique et disparaîtrait. Quand la bastonnade cesse, Bouki n'est plus qu'une masse informe. Malice, lui, reçoit cinq barils d'argent et devient conseiller du roi de ce pays où règne l'impunité.