Le Sénégal est et reste un pays de culture et de savoir. Il a produit de
 grandes figures culturelles et scientifiques, qui ont fait la fierté de
 notre pays au plan mondial : Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop, 
Ousmane Sembéne, Iba Der Thiam, Souleymane Bachir Diagne, Djibril Samb, 
Ben Diogoye Béye, Mohamed Mbougar Sarr, et j’en passe.
   Aujourd’hui que le régime en place investit dans la construction de 
grandes infrastructures, il importe de rappeler la pertinence et la 
nécessité de la construction d’une bibliothèque nationale répondant aux 
exigences de la modernité et ayant toutes les commodités pour permettre à
 nos chercheurs de s’épanouir dans leur propre pays. Nous avons une 
arène nationale, un stade du Sénégal Maître Abdoulaye Wade, Dakar Arena,
 un TER, un BRT ; des infrastructures et équipements construits à coût 
de milliards…. mais pas encore une bibliothèque nationale. C’est un 
contraste qu’il faut vite corriger.
    La quête du savoir est pourtant la stratégie qui va désamorcer la bombe 
sociale que constituent le chômage et le sous-emploi, qui sont une 
menace pour le pouvoir en place et les régimes à venir. Le développement
 est une question d’éducation et d’instruction d’abord, avant d’être un 
problème d’infrastructures à construire et/ou à entretenir. 
L’indiscipline notoire qui caractérise de plus en plus le Peuple 
sénégalais, est symptomatique du niveau d’instruction et d’éducation de 
plus en plus problématique de notre jeunesse et de son rapport difficile
 au savoir.
    Chaque année, l’État investit des milliards pour les voyages d’études de
 nos universitaires et pour les bourses de nos étudiants à l’étranger. 
Cela dénote la place centrale de la recherche dans le développement des 
pays. Le Sénégal ne doit pas rester en marge de la marche des nations 
dans la course au savoir, à la science et à la technologie. Et pour 
cela, une bibliothèque nationale est fondamentale. Car la culture ne se 
limite pas seulement à la musique, à la danse et au théâtre. D’ailleurs,
 c’est scandaleux que le Sénégal, malgré tout ce qu’il représente sur le
 plan africain et international, ne puisse pas jusqu’à présent, malgré 
sa réputation de pays de culture, avoir une bibliothèque nationale. La 
question de la relation que le Peuple sénégalais entretient avec le 
livre aussi se pose. Un Peuple qui ne lit pas ne se développera pas.
   Un monument de la littérature française du XXème siècle, Julien Green, 
disait par excellence qu’«une bibliothèque, c’est le carrefour de tous 
les rêves de l’humanité», pour dire tout simplement que c’est le lieu de
 convergence de la pensée pure, puisée dans les savoirs du monde et 
distillée par les cultures sans différenciation de race, de religion, de
 croyance, ni d’idéologie. Cette appréhension humaniste de la 
bibliothèque épouse notre idéal de participation au concert des nations,
 où le savoir est la lumière qui charme nos relations et consolide la 
paix tant convoitée.
   Le livre est le symbole du savoir. Il doit séjourner et demeurer dans 
nos passions en tant que Sénégalais. L’héritage intarissable qui fait la
 gloire des peuples, qui peut résister à l’usure du temps et permettre 
aux générations futures de contempler leur histoire, et de côtoyer 
l’humanité en savourant sa richesse, ne peut survivre qu’à travers le 
livre. La sagesse de Amadou Hampathé Bâ, quand il dit qu’«en Afrique, 
quand un vieillard meurt, c’est comme une bibliothèque qui brûle», 
suffit à nous convaincre de la sacralité de la connaissance et de la 
nécessité d’en protéger son symbole tel qu’il soit.
    S’il y a une chose dont un État peut se préserver du complexe de la 
copier, c’est bien l’institutionnalisation du savoir par une 
bibliothèque d’envergure nationale qui, il faut le rappeler, était un 
rêve du Président Senghor déjà en 1976. Les circonstances économiques 
d’alors ont poussé l’État à sa suspension. Le temps des régimes qui se 
sont succédé, a érodé ce rêve souvent rafraichi lors des discours de 
campagne, même si des initiatives ont été enclenchées surtout avec le 
Président Abdoulaye Wade avec son projet des 7 merveilles de Dakar, dans
 lequel il était prévu une bibliothèque nationale. Malgré la seconde 
alternance, sous le magistère de l’actuel Président, Macky Sall, le 
projet peine à sortir de terre. Est-ce un manque de volonté ou une 
absence de priorité dans nos aspirations politiques ?
    Pourtant, le Sénégal est une terre de culture qui inspire le monde et 
qui a vu naître de grandes intelligences, érigées en modèles dans leur 
domaine, en semant partout le drapeau du savoir et du savoir-faire avec 
un leadership éclairé. Aux grands intellectuels cités ci-haut doit être 
rendu un hommage pour le service voué à l’intelligentsia sénégalaise 
surtout africaine, au monde entier, par la réalisation définitive de 
cette bibliothèque afin d’assouvir ce vieux rêve. Notre histoire et 
notre géographie nous l’exigent. Car la première draine la mémoire des 
hommes et la seconde, fait du Sénégal la porte de l’Afrique où le 
couchant rivalise avec le levant, là où les dernières lueurs du soleil 
déposent un reflet des connaissances inscrites dans le grand livre du 
monde, qui se déversent le long de nos berges. Les arguments culturels, 
littéraires et peut-être scientifiques pourront certainement inspirer 
les autorités sénégalaises à investir dans ce projet, comme l’ont fait 
d’autres pays tels que la France qui dispose de sa grande BNF (Bibliothèque nationale de France), le Mali depuis 1985, la Côte 
d’Ivoire depuis 1974. Ces États ont compris que le développement a un 
prix et l’investissement sur le capital humain est le meilleur pari pour
 assurer un meilleur avenir à une nation.
    Si l’émergence est un agenda, l’économie du savoir en est le socle. Une 
planification équilibrée doit certes être soucieuse du progrès 
socio-économique, mais elle reste inachevée si la dimension de la 
recherche scientifique et de l’éducation n’est pas prise en compte. Dans
 un contexte où le numérique devient le langage par lequel les sociétés 
dialoguent, l’accès au savoir est devenu un impératif pour toutes les 
couches sociales. C’est un levier puissant pour lutter contre 
l’ignorance et l’obscurantisme. Cette compréhension globale de 
l’économie du savoir doit être le moteur de toutes nos actions 
publiques, à partir duquel l’État peut favoriser un écosystème culturel 
et scientifique attractif pour les chercheurs et intellectuels du monde.
 Il est certain qu’une bibliothèque nationale serait le point focal 
d’une attractivité scientifique de la même envergure que celle 
d’Alexandrie, fondée en Égypte en 288 avant notre ère, et qui a bâti son
 mythe et sa célébrité grâce à sa richesse et à la qualité de ses 
manuscrits. Avec cet édifice public, on pourra faire de Dakar la 
nouvelle Alexandrie d’Afrique en tant qu’une ville du savoir, un vrai 
fleuron de la science sur l’échiquier mondial.
    En définitive, il est absurde de croire que la politique est l’ennemi du
 savoir. La réalité est tout autre. Car la politique, au sens empirique 
du terme, désigne l’art de la gestion de la cité. La distinction 
spécifique du politique est de servir sa communauté. La voie du savoir 
est un choix pertinent pour conduire un peuple vers le salut. Nous 
espérons grandement que ce plaidoyer visant à ériger une bibliothèque 
nationale, portera ses fruits et engagera l’État du Sénégal vers une 
meilleure perspective d’émergence en s’appuyant sur une économie du 
savoir.