L’érection d’une bibliothèque nationale : une exigence pour un Sénégal émergent !

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Ecoles au Sénégal
05 April 2022
Plus de soixante ans après l’indépendance, le Sénégal ne dispose pas encore de bibliothèque nationale. Cela pose impérativement sur la table la question de notre rapport au savoir et celle beaucoup plus accrue de notre conception du développement. L’économie du savoir n’est-elle pas une partie intégrante de l’émergence ? Les pays qui l’ont compris ont beaucoup investi dans le secteur de l’éducation et de la formation, avec beaucoup de rigueur et de professionnalisme. Car les nations les plus développées sont celles où le savoir est plus valorisé. Ce sont des pays qui allument et ravivent la flamme du savoir à tous les niveaux de la société.

   Le Sénégal est et reste un pays de culture et de savoir. Il a produit de grandes figures culturelles et scientifiques, qui ont fait la fierté de notre pays au plan mondial : Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop, Ousmane Sembéne, Iba Der Thiam, Souleymane Bachir Diagne, Djibril Samb, Ben Diogoye Béye, Mohamed Mbougar Sarr, et j’en passe.
   Aujourd’hui que le régime en place investit dans la construction de grandes infrastructures, il importe de rappeler la pertinence et la nécessité de la construction d’une bibliothèque nationale répondant aux exigences de la modernité et ayant toutes les commodités pour permettre à nos chercheurs de s’épanouir dans leur propre pays. Nous avons une arène nationale, un stade du Sénégal Maître Abdoulaye Wade, Dakar Arena, un TER, un BRT ; des infrastructures et équipements construits à coût de milliards…. mais pas encore une bibliothèque nationale. C’est un contraste qu’il faut vite corriger.
    La quête du savoir est pourtant la stratégie qui va désamorcer la bombe sociale que constituent le chômage et le sous-emploi, qui sont une menace pour le pouvoir en place et les régimes à venir. Le développement est une question d’éducation et d’instruction d’abord, avant d’être un problème d’infrastructures à construire et/ou à entretenir. L’indiscipline notoire qui caractérise de plus en plus le Peuple sénégalais, est symptomatique du niveau d’instruction et d’éducation de plus en plus problématique de notre jeunesse et de son rapport difficile au savoir.
    Chaque année, l’État investit des milliards pour les voyages d’études de nos universitaires et pour les bourses de nos étudiants à l’étranger. Cela dénote la place centrale de la recherche dans le développement des pays. Le Sénégal ne doit pas rester en marge de la marche des nations dans la course au savoir, à la science et à la technologie. Et pour cela, une bibliothèque nationale est fondamentale. Car la culture ne se limite pas seulement à la musique, à la danse et au théâtre. D’ailleurs, c’est scandaleux que le Sénégal, malgré tout ce qu’il représente sur le plan africain et international, ne puisse pas jusqu’à présent, malgré sa réputation de pays de culture, avoir une bibliothèque nationale. La question de la relation que le Peuple sénégalais entretient avec le livre aussi se pose. Un Peuple qui ne lit pas ne se développera pas.
   Un monument de la littérature française du XXème siècle, Julien Green, disait par excellence qu’«une bibliothèque, c’est le carrefour de tous les rêves de l’humanité», pour dire tout simplement que c’est le lieu de convergence de la pensée pure, puisée dans les savoirs du monde et distillée par les cultures sans différenciation de race, de religion, de croyance, ni d’idéologie. Cette appréhension humaniste de la bibliothèque épouse notre idéal de participation au concert des nations, où le savoir est la lumière qui charme nos relations et consolide la paix tant convoitée.
   Le livre est le symbole du savoir. Il doit séjourner et demeurer dans nos passions en tant que Sénégalais. L’héritage intarissable qui fait la gloire des peuples, qui peut résister à l’usure du temps et permettre aux générations futures de contempler leur histoire, et de côtoyer l’humanité en savourant sa richesse, ne peut survivre qu’à travers le livre. La sagesse de Amadou Hampathé Bâ, quand il dit qu’«en Afrique, quand un vieillard meurt, c’est comme une bibliothèque qui brûle», suffit à nous convaincre de la sacralité de la connaissance et de la nécessité d’en protéger son symbole tel qu’il soit.
    S’il y a une chose dont un État peut se préserver du complexe de la copier, c’est bien l’institutionnalisation du savoir par une bibliothèque d’envergure nationale qui, il faut le rappeler, était un rêve du Président Senghor déjà en 1976. Les circonstances économiques d’alors ont poussé l’État à sa suspension. Le temps des régimes qui se sont succédé, a érodé ce rêve souvent rafraichi lors des discours de campagne, même si des initiatives ont été enclenchées surtout avec le Président Abdoulaye Wade avec son projet des 7 merveilles de Dakar, dans lequel il était prévu une bibliothèque nationale. Malgré la seconde alternance, sous le magistère de l’actuel Président, Macky Sall, le projet peine à sortir de terre. Est-ce un manque de volonté ou une absence de priorité dans nos aspirations politiques ?
    Pourtant, le Sénégal est une terre de culture qui inspire le monde et qui a vu naître de grandes intelligences, érigées en modèles dans leur domaine, en semant partout le drapeau du savoir et du savoir-faire avec un leadership éclairé. Aux grands intellectuels cités ci-haut doit être rendu un hommage pour le service voué à l’intelligentsia sénégalaise surtout africaine, au monde entier, par la réalisation définitive de cette bibliothèque afin d’assouvir ce vieux rêve. Notre histoire et notre géographie nous l’exigent. Car la première draine la mémoire des hommes et la seconde, fait du Sénégal la porte de l’Afrique où le couchant rivalise avec le levant, là où les dernières lueurs du soleil déposent un reflet des connaissances inscrites dans le grand livre du monde, qui se déversent le long de nos berges. Les arguments culturels, littéraires et peut-être scientifiques pourront certainement inspirer les autorités sénégalaises à investir dans ce projet, comme l’ont fait d’autres pays tels que la France qui dispose de sa grande BNF (Bibliothèque nationale de France), le Mali depuis 1985, la Côte d’Ivoire depuis 1974. Ces États ont compris que le développement a un prix et l’investissement sur le capital humain est le meilleur pari pour assurer un meilleur avenir à une nation.
    Si l’émergence est un agenda, l’économie du savoir en est le socle. Une planification équilibrée doit certes être soucieuse du progrès socio-économique, mais elle reste inachevée si la dimension de la recherche scientifique et de l’éducation n’est pas prise en compte. Dans un contexte où le numérique devient le langage par lequel les sociétés dialoguent, l’accès au savoir est devenu un impératif pour toutes les couches sociales. C’est un levier puissant pour lutter contre l’ignorance et l’obscurantisme. Cette compréhension globale de l’économie du savoir doit être le moteur de toutes nos actions publiques, à partir duquel l’État peut favoriser un écosystème culturel et scientifique attractif pour les chercheurs et intellectuels du monde. Il est certain qu’une bibliothèque nationale serait le point focal d’une attractivité scientifique de la même envergure que celle d’Alexandrie, fondée en Égypte en 288 avant notre ère, et qui a bâti son mythe et sa célébrité grâce à sa richesse et à la qualité de ses manuscrits. Avec cet édifice public, on pourra faire de Dakar la nouvelle Alexandrie d’Afrique en tant qu’une ville du savoir, un vrai fleuron de la science sur l’échiquier mondial.
    En définitive, il est absurde de croire que la politique est l’ennemi du savoir. La réalité est tout autre. Car la politique, au sens empirique du terme, désigne l’art de la gestion de la cité. La distinction spécifique du politique est de servir sa communauté. La voie du savoir est un choix pertinent pour conduire un peuple vers le salut. Nous espérons grandement que ce plaidoyer visant à ériger une bibliothèque nationale, portera ses fruits et engagera l’État du Sénégal vers une meilleure perspective d’émergence en s’appuyant sur une économie du savoir.



Ngor DIENG et El Hadji Farba DIOP