Fille de la période coloniale, Annette Mbaye d’Erneville est née en 1926 à Sokone au centre du Sénégal. Elle connut une enfance et une jeunesse épanouies comme elle le raconte dans les colonnes du journal « Le Forum des poètes ».
« Jeunesse heureuse à Sokone ! Adolescence avec une éducation choisie et entourée d’affection à Saint-Louis ! Formation professionnelle et citoyenne à Rufisque ».
La voie était ainsi balisée pour être une femme forte de caractère doublée d’une grande féministe, quand bien même, elle ne s’accommode pas du mot. Annette Mbaye, qui dit avoir appris à lire le français à un âge avancé, a baigné dans la chaleur saint-louisienne où elle a aussi appris à parler un wolof correct.
À 9 ans, je ne parlais pas un seul mot de Français. Donc mes tantes m’apprenaient à lire à la maison. C’est dans ce milieu rural de Saint-Louis que j’ai appris à parler ce wolof-là, raconte-t-elle dans « En Sol majeur ».
Annette est la fille de Victor Hypo d’Erneville et de Marie-Pierre Turpin, tous deux issus d’anciennes familles métisses. Après ses études primaires à l’École Saint Joseph de Cluny à Saint-Louis du Sénégal, Annette Mbaye intègre l’École normale de Rufisque, « sous l’influence avant-gardiste de Germaine Le Goff », sa mère spirituelle. Sortie de l’École normale de Rufisque, Annette se rend en 1947 à Paris pour poursuivre ses études. Là-bas, elle se frotte au milieu intellectuel des années 1950 et côtoie tous ceux qui bâtiront les indépendances des pays africains. Ancien membre de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), Annette Mbaye a côtoyé des intellectuels tels que Senghor, Montand, Signoret, Jean-Paul Sartre.
En terre française, Mademoiselle d’Erneville découvre, stupéfaite, que les femmes blanches balaient aussi les rues, servent à boire dans les cafés. Elle rend également compte qu’il existe des Blancs qui ne sont pas racistes.
Fascination normale étant donné qu’à l’époque de la colonisation, le Blanc était surestimé alors que le Noir, oppressé, entretenait des complexes d’infériorité. Dans ce foisonnement intellectuel de ces lointaines années, elle découvre « l’Afrique hors de l’Afrique ». La jeune étudiante termine ses études avec un diplôme de journaliste de radio. Femme journaliste, ce fut une grande première dans l’histoire du Sénégal. Et en cela, Annette Mbaye avait ouvert la voie à ses sœurs.
Après ses études, pressentant l’imminence des indépendances, la jeune demoiselle prend le chemin du retour. Elle va donc rentrer au Sénégal en 1950 parce que se sentant concernée par le développement de son pays. Jeune journaliste, elle intègre ce qui est devenue aujourd’hui la RTS (radiotélévision sénégalaise). Quelques années après, Annette innove dans le milieu de la presse. Elle fonde, en 1959, le premier magazine féminin du Sénégal, « Femmes de Soleil » qui sera plus tard rebaptisé « Awa » en 1963. Tata Annette a aussi collaboré à de nombreuses publications. Malgré son éducation, un peu « Vieille France », Tata Annette avait un attachement singulier pour la terre de ses ancêtres et pour sa culture sérère. Ce qui explique qu’elle n’avait pas besoin de s’incruster au pays de Louis XIV, même si elle porte une part de sang occidental. Annette a plutôt su faire une conciliation des deux cultures sans qu’elle ne se retrouve dans une sorte de dualité.
« J’aime bien Samba Diabaré Samb, j’aime bien Youssou Ndour, mais j’aime aussi Charles Aznavour, Yves Montand. Je ne peux pas dire que c’est une dualité. C’est une espèce de symbiose », dit-elle dans l’extrait du film « Mère-bi » que lui a consacré son fils William Mbaye d’Erneville.
FÉMINISTE MALGRÉ MOI : « Je ne me sens pas féministe. »
Première femme journaliste du Sénégal, elle fut militante de la première heure de la cause de l’émancipation des femmes de son pays. Féministe dans l’âme, elle refuse cependant ce mot qu’elle trouve quelque peu « ségrégationniste ». « Moi, je n’aime pas ce mot. Je ne me sens pas féministe, c’est-à-dire combattante de… (Elle femme coup de poing et serre le visage). On vit quoi !». Mais sa farce favorite, ajoutée à ses actions et à ses positions, prouve à suffisance qu’elle porte le germe du féminisme.
« Il y a un film qui dit que Dieu a besoin des hommes. Je dis, nous aussi les femmes, on en a besoin, ne serait-ce que pour faire des enfants », ironise-t-elle au micro de Yasmine Chouacki, la présentatrice de l’émission « En sol majeur » sur RFI.
Femme de culture, Annette a écrit plusieurs livres pour enfants ainsi que des poèmes. « J’écris des nouvelles et des contes pour enfants. Mon seul recueil de poèmes (essais) est « KADDU » et s’adresse à des adultes. Ce sont de petites pièces de jeunesse et du début de la maturité, écrites entre 1950 et 1966 », a-t-elle expliqué dans « Le Forum des poètes ». Le rédacteur en chef de cette publication, Saër Ndiaye présente la doyenne des femmes journalistes du Sénégal comme « une grande dame des Lettres et de la presse, de l’écriture et de l’éducation ». Mais quoique son nom soit toujours associé à la littérature et à la poésie, Annette ne se définit ni comme écrivain, ni comme poète stricto sensu, ni même intellectuel. Journaliste et institutrice oui. L’ex-protégée de Germaine Le Goff préfère s’accommoder de la vie ordinaire.
« Ce qui est sûr, dit-elle, je ne suis ni poète ni même écrivain dans la conception exacte de ses deux termes. Je suis journaliste professionnelle dans l’audiovisuel après avoir été institutrice », a-t-elle réaffirmé avec force dans « Le Forum des poètes ».
Petite de taille, cheveux blancs, teint métissé hérité de ses grands-parents, malgré son grand âge, cette brave femme continue de fonctionner quasiment comme 40 ou 60 ans plus tôt. « J’ai gardé le même rythme que lorsque je travaillais : réveillé tôt, lecture rapide de journaux, couchée tard avec cependant de larges plages de relaxation pas de sieste au lit- ». Mère du cinéaste Ousmane Willian Mbaye, Annette Mbaye a aussi impulsé beaucoup de choses sur le plan des événements culturels comme les rencontres cinématographiques de Dakar (Redidak) ou des revues culturelles importantes. Elle est à l’origine du Musée Henriette Bathily de Gorée. Femme à la plume facile, elle a écrit plusieurs poèmes, dont la chanson pour laity en 1976, le Noel du vieux chasseur en 1961, motte de terre et motte de beurre en 2003 pour ne citer que ceux-là.
Awa
Ndiaye/ Actuvision.com