Les
origines
La question du chemin de fer du Cayor est soulevée une
première fois le 10 septembre 1879, à l'occasion de la ratification d'une
convention avec Lat Dior. L'État français, ministère de la Marine et des
Colonies, organise en 1880 un concours ouvert aux grandes entreprises
françaises, pour construire et faire exploiter par une compagnie une voie
ferrée de 265 kilomètres entre Dakar et Saint-Louis. Le chemin de fer de Dakar
à Saint Louis (DSL) est concédé pour 99 ans à la Société de construction des
Batignolles (SCB) par une convention du 30 octobre 1880, confirmée par la loi
du 29 juin 1882, avec rachat possible à compter du 1er mai 1908.
La loi du 29 juin 1882 approuve le cahier des charges. Si la
compagnie dispose d'un capital de 5 millions de francs, l'État lui fournit une
avance de 12 680 000 francs. Le montage financier de l'opération est assez
alambiqué : la ligne sera construite et exploitée aux frais de l'État qui, en
vertu de la garantie accordée à la compagnie, devra payer l'intérêt du capital
de construction et les insuffisances d'exploitation. L'État a de bonnes raisons
pour offrir de tels avantages au concessionnaire. La colonisation débute à
peine et les habitants se montrent résolument hostiles aux « tentatives de
pénétration ». Les opérations militaires ne sont pas terminées, et les guerres
avec les Damels du Cayor et les Teignes3 du Baol ne prendront fin qu'avec la
mort du dernier damel, tué en décembre 1886.
Pour réaliser cet important chantier et exploiter la future
ligne, la SCB d'Ernest Goüin crée en 1883 une société anonyme au capital de 5
millions de francs, appelée Compagnie du chemin de fer de Dakar à Saint-Louis.
Le conseil d'administration de la SCB autorise l'apport de la concession, la
souscription d'un maximum de 6 700 actions de la nouvelle compagnie et la
signature d'un marché à forfait et une convention, précisant les conditions
financières des rapports entre les deux sociétés.
Construction
et débuts de l'exploitation
Les installations primitives de Dakar vers 1905. On aperçoit
la gare d'origine dans l'axe du mât
Organisation du chantier
Les conditions locales compliquent ce chantier, la compagnie
est confrontée à une main-d'œuvre sans expérience et à des conditions de
terrain et de climat particulièrement difficiles. Durant les trois années
nécessaires pour ouvrir la ligne dans sa totalité, il faut faire venir : le
personnel, ouvrier et techniciens qui prennent le bateau à Marseille, mais
aussi tout ce qui est nécessaire à la construction de la ligne : matériel (fixe
et roulant) et matériaux (pierres de taille, briques et charpente). Le
fonctionnement du chantier pose aussi des problèmes importants avec notamment,
la fièvre jaune et des conditions climatiques qui nécessitent le rapatriement
du personnel européen, chaque année, pendant la mauvaise saison.
Commencés simultanément à Rufisque et à Saint-Louis, les
travaux suivent une marche rapide à partir du 27 juillet 1883 sous la direction
du directeur en chef du service construction Blondelet. L'exploitation commence
dès la mise en service des premiers tronçons, sous la direction de l'officier
d'état-major Bois, collaborateur direct du colonel Pinet-Laprade. La mise en
service de la ligne dans sa totalité a lieu en juillet 1885.
Confrontation
avec la population locale
Les premières années d'exploitation sont assez dures, les
populations locales luttant contre le nouveau moyen de colonisation qu'est le
chemin de fer. Le 29 décembre 1884, la maison d'équipe du PK 37,5 est attaquée
par les Sérères, un homme d'équipe est blessé, mais deux prisonniers restent
entre les mains du commissaire de police. À l'origine de l'affaire, une sombre
histoire de vol de vin de palme. Le 19 février 1885, le train déraille à
Bargny, provoquant la mort d'un enfant et trois blessés graves. Le 8 mars 1885,
lors du passage du train no 2 au PK 182,4, on signale des jets de projectiles
divers sur le convoi par « des Noirs déjà assez grands ». Le 24 mars, le même
train (le no 2) déraille à proximité du pont de Rufisque à la suite d'un
affaissement du remblai. La locomotive, le fourgon et une voiture disparaissent
dans le marécage.
Il faut aussi compter avec les hommes du damel, qui ne
prennent pas vraiment le chemin de fer au sérieux. Le 12 avril 1885, un
télégramme annonce : « Le roi du Cayor est venu se plaindre que les employés de
la voie avaient dés-harnaché un cheval hier au PK 102 et de plus, suivant ses
expressions, que ces employés faisaient des bêtises avec ses hommes. Il menace
de se plaindre au gouverneur ». Plus prosaïquement, il semble bien qu'une rixe
ait éclaté entre les ouvriers et un homme du Cayor qui voulait circuler à
cheval sur la ligne.
Le 14 octobre, le chef d'équipe numero 17 qui effectue une
tournée en lorry trouve au PK 131,5 une briquette de charbon « placée de façon
à faire dérailler le train ». Au PK 132, c'est une racine d'arbre qui est
placée en travers des rails. On décide donc d'instaurer une « surveillance
spéciale » sur toute cette section.
Pendant ce temps, les administrateurs de la compagnie
négocient des arrangements avec le damel. Un acte, additionnel au traité du 22
janvier 1885, conclu entre la France et le Cayor, offre des « conditions
exceptionnelles » au chemin de fer, à savoir une extension des terrains
réservés à la compagnie autour des gares. En échange, il faut accorder « la
concession au damel de la gratuité du parcours sur toute la ligne pour lui et
sa suite de 20 personnes ».
Chronologie des
ouvertures
23 juillet 1883 : de Dakar à Rufisque (28 km)
29 janvier 1884 : de Saint Louis à M'Pal (33 km)
6 mai 1884 : de Rufisque à Pout (24 km)
Mai 1884 : de M'Pal à Louga (38 km)
Juillet 1884 de Pout à Tivaouane (40 km)
1er janvier 1885 : de Louga à Guéoul (20 km)
Mars 1885 : de Guéoul à Kébémer (17 km)
Mars 1885 : de Tivaouane à Ngaye Méhé
30 avril 1885 de Ngaye Méhé à Ndande
5 juillet 1885 : de Ndande à Kébémer
Une difficile modernisation au début du xxe siècle
La gare de
Rufisque vers 1910
Les installations vieillissent rapidement. La compagnie décide
de moderniser l'ensemble au début du xxe siècle, mais par petites touches. En
1906, le téléphone commence à remplacer le vieux télégraphe Breguet. De
nouveaux trafics voient le jour, en particulier grâce à la politique de grands
travaux de la colonie qui nécessite une grande quantité de matériaux. Deux
carrières ouvrent en 1907 et se raccordent au chemin de fer : celle de M.
Peignet, au PK 24,482, et celle de M. Sallenave, entrepreneur à Dakar, au PK
2,550, où est construit un long embranchement de 5,3 km.
La construction de la ligne du Baol, première amorce du
Chemin de fer de Thiès à Kayes (CFTK) exploitée par le Dakar-Saint-Louis
jusqu'en 1910, est une véritable manne pour la compagnie : en 1909, cette ligne
procure à elle seule un trafic de 45 000tonnes d'arachides, presque toutes à
destination de Rufisque. Mais la situation ne présente pas que des avantages,
et elle fait surtout ressortir le manque de matériel de la compagnie. La même
année, le Dakar Saint-Louis est sollicité pour établir des voies sur le port de
commerce de Dakar, tandis que la nouvelle gare de Saint-Louis du Sénégal est
inaugurée le 24 juillet 1909.
Malgré tout, ces tentatives de modernisation restent bien
timides. Dès 1910, les chambres de commerce locales mettent la compagnie sur la
sellette, ce qui finit par provoquer une enquête très officielle du gouverneur.
Les résultats sont particulièrement édifiants :
« L'exploitation est défectueuse à tous les points de vue.
Les trains de voyageurs n'arrivent jamais, ou bien rarement, à l'heure
règlementaire. Souvent, les retards dépassent une ou deux heures, et même plus.
Ces retards proviennent généralement du temps considérable perdu dans les gares
à charger et décharger des marchandises, à laisser des wagons vides pour en
prendre des pleins, et de l'insuffisance du personnel. Cela n'arriverait pas si
les trains de voyageurs étaient uniquement des trains de voyageurs. Le
matériel, aussi bien machines que wagons, est défectueux et insuffisant. Les
wagons voyageurs sont mal entretenus, d'une saleté repoussante, les coussins de
banquettes maculés de taches de graisse. On a vu des voyageurs, des dames,
rester debout tout le trajet jusqu'au terminus, soit 10 heures de route, plutôt
que de s'assoir sur des coussins dont la malpropreté leur répugnait. Il faut
aussi signaler que les wagons sont vieux et mal compris. »
L'enquête révèle que les plaintes des chambres de commerce
sont « en partie justifiées » Effectivement, les retards sont fréquents. Au
cours du premier semestre 1910, le train 1 accusera 73 retards d'une amplitude
allant de 30 à 255 minutes. Le train 2 se "contente" de 47 retards.
Pour le gouverneur, « la mauvaise exploitation provient de l'instabilité du
personnel européen, qui est trop peu payé ».
Un programme de modernisation beaucoup plus ambitieux est
alors lancé. En juillet 1912, la compagnie décide de remplacer tous les ponts
métalliques de la ligne. Dix nouveaux tabliers sont commandés, et l'opération
est terminée en 1915. Mais celle-ci est surtout motivée par l'introduction des
nouvelles locomotives de type Mallet.
La
reconstruction de la gare de Dakar
Dakar, entre-temps devenue le point de départ de la ligne du
Niger, nécessite une gare plus monumentale. L'avant-projet du bâtiment et des
installations est approuvé par décision ministérielle du 24 décembre 1908.
L'agrandissement des quais du port de commerce, qui a déjà donné lieu à divers
échanges de terrains, doit provoquer la disparition de la gare voyageurs
d'origine, reportée 1 000 mètres plus à l'ouest, et la suppression des voies
ferrées entre ces deux points. Les travaux sont terminés en 1914, mais en
raison du décès du président du Dakar-Saint Louis, André de Traz, la cérémonie
d'inauguration est purement supprimée par décision du gouverneur en date du 16
juin.
La première
guerre mondiale
L'entrée en guerre de la France n'a pas de grosses
conséquences pour la compagnie. Les trains express, provisoirement suspendus,
sont réintroduits fin 1915. La compagnie est alors placée sous le régime de la
réquisition limitée. L'année 1915 est surtout marquée par des pluies
torrentielles et par de nombreux déraillements dus au mauvais état de la voie :
en août, celle-ci est coupée sur 13 kilomètres, entre Thiès et Tivaouane.
À la suite d'une convention du 1er février 1916, un
important embranchement particulier est créé pour desservir le camp de
Thiaroye. Quelques nouvelles carrières s'embranchent également sur la ligne,
comme celle de MM. Maurel et Prom, au PK 31,7, fin 1915.
La démolition de l'ancienne gare de Dakar, début 1914, avait
provoqué le transfert du service petite vitesse dans un baraquement provisoire
sur le mole numero 1. Devant l'accroissement des transports de charbon
enregistrés depuis 1914, il est à nouveau nécessaire de la déplacer. Ce sera
fait sur un nouveau site installé au 1, rue de Traz, en février 1917.
Peu après, la compagnie propose une refonte des conditions
générales d'application des tarifs généraux et spéciaux, approuvée en juillet
1917. À la demande du gouverneur général, le Dakar Saint-Louis présente peu
après une étude très complète sur la réduction de la consommation de charbon,
proposant notamment :
La réduction à 3 par semaine dans chaque sens du nombre des
trains de voyageurs durant la période du 15 mai au 15 novembre
La réduction du nombre des trains de marchandises qui ne
seraient mis en marche que lorsque les quantités à transporter seront
suffisantes
Un allongement des délais de restitution du matériel du
Chemin de fer de Thiès à Kayes (CFTK).
Le gouverneur refusera, trouvant ces mesures trop
draconiennes.
Le Dakar-Saint-Louis poursuivra une exploitation profitable dans les années 1920. Le gouvernement général de l'AOF reprendra la ligne à sa charge par convention des 9 août et 9 septembre 1932. La vieille ligne de Saint-Louis sera alors intégrée à la Régie des chemins de fer de Dakar au Niger (RDN).