Les traites négrières orientales, dont la transsaharienne (dite « traite arabe »), et la traite négrière transatlantique vers le continent américain sont les plus importantes des pratiques esclavagistes du fait de leur durée (respectivement onze et quatre siècles), de leur ampleur (plusieurs dizaines de millions d'individus réduits à l'état d'esclaves en tout), et de leur impact sociologique, culturel et économique tant dans les régions esclavagistes qu'en Afrique, où se trouvaient les trois grands lieux du trafic d'esclaves : Tombouctou, Zanzibar et Gao.
Ponctuellement condamné depuis l'Antiquité (par des
autorités morales et parfois politiques), formellement interdit concernant tout
peuple chrétien, ou non, connu ou à découvrir, par le pape Paul III en 1537 et
252 ans plus tard par les différentes déclarations des droits de l'homme,
l'esclavage n'a été aboli que tardivement. Il est aujourd'hui officiellement
interdit (via par exemple le pacte international relatif aux droits civils et
politiques) mais le travail forcé, la traite des êtres humains, la servitude
pour dettes, le mariage forcé et l'exploitation sexuelle commerciale sont des
pratiques souvent assimilées à de l'esclavage.
L’esclavage au Sénégal
Les anciens royaumes et provinces qui occupaient les
territoires du Sénégal actuel, et notamment celui du Galam, ne se
différenciaient pas du reste du monde d’avant les démocraties et républiques
modernes : la plupart des sociétés pratiquaient un régime esclavagiste et de
servage.
La Grèce antique d’Aristote divisait l’humanité en deux
catégories, les maîtres et les esclaves, ceux-ci étant définis comme biens
meubles dotés d’une âme (in Politique, Livre I).
La légitimité de ce statut était déjà très discutée à cette époque, notamment
par Platon (in La République).
Les Romains avaient quant à eux défini juridiquement le statut de l’esclave
(servus) par opposition à celui de paysan libre (colonus).
Au Moyen-Âge occidental le servage remplace progressivement le statut
esclavagiste.
L’esclavage arabo-musulman
A partir du VIIe siècle les Musulmans généralisent la
pratique de l’esclavage alimentée par leurs conquêtes islamistes, comme les
Romains avaient eux-mêmes constitué leur population d’esclaves avec l’expansion
de l’Empire.
Dans la société musulmane, l’esclavage devient une véritable
institution comme en témoigne le guide d’achat rédigé vers 1050 par le médecin
Ibn Butlan, natif de Bagdad en 1001.
Selon l’Historien Alain Dignat, « La traite arabe
aurait commencé en 652 lorsque le général Abdallah ben Sayd imposa aux
chrétiens de Nubie la livraison de 360 esclaves par an. Ce trafic n’a cessé dès
lors de s’amplifier. Les spécialistes évaluent de 12 à 18 millions le nombre
d’Africains victimes de la traite arabe au cours du dernier millénaire du 7e au
20e siècle » (203), ce chiffre comptabilise le Sahel et la côte est de
l’Afrique, sachant que sur celle-ci la traite s’est intensifiée à la fin du
XIXe siècle notamment à Zanzibar et au Soudan.
Durant des siècles, et particulièrement durant le haut
Moyen-Âge, L’Europe et l’Orient sont impliqués également dans ce trafic.
La France était traversée par les routes commerciales du nord qui alimentaient
en esclaves (saqâliba) les centres musulmans d’Orient et d’Occident via Venise
et Cordoue (208).
La condition d’esclave dans la société sénégambienne
Dans les royaumes d’Afrique de l’Ouest, la société était
très sophistiquée, structurée chez les hommes libres selon un système de castes
professionnelles, religieuses et ethniques hiérarchisées, dont il reste encore
aujourd’hui des habitudes, sinon une culture entretenue, que l’on retrouve à
bien y regarder dans la quasi-totalité des sociétés modernes.
Les esclaves constituaient également une sorte de caste qui, dépendant
directement du souverain, pouvait assurer une stabilité politique et sociale au
royaume, comme les fidèles Tiédos, bras armés du Damel du Kayor.
Selon Majhemout Diop (205), les souverains wolof avaient
échafaudé toute une législation pour augmenter leur ngallo (ensemble
d’esclaves, qui se dit aussi rumdé en poular), l’approvisionnement en esclaves
était réalisé par droit d’aubaine sur sa propre population assujettie et, de
fait, redevable, mais surtout par la capture auprès des ethnies voisines
(prisonniers de guerre, razzia).
En 1455, le navigateur vénitien Ca’ da Mosto rapporte (210)
que le roi sénégalais Zucholin «maintient son pouvoir économique par des
pillages qu’il fait de plusieurs esclaves sur le pays, comme sur ses voisins,
desquels il se sert de plusieurs manières, et surtout à faire cultiver ses
possessions. Il en vend un grand nombre aux marchands arabes et en livre aussi
aux Chrétiens depuis qu’ils ont commencé à contracter marchandises en ces pays ».
L’abolition française de l’esclavage au Sénégal face à la réalité culturelle et économique
La première abolition de l’esclavage intervient par décret
du 4 février 1794, après la loi de 1792 qui, trois ans après la proclamation de
la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, confère le statut de citoyen à
tous les Français, y compris les Noirs libres des possessions françaises.
A noter qu’en Europe, six ans après le tremblement de terre
qui détruisit Lisbonne, le Portugal fut le premier pays à abolir l’esclavage
par décret du 12 février 1761 (Marquis de Pombal, Premier ministre du Roi
Joseph Ier).
Pour la France de 1794, la préoccupation de disposer d’une
population qui défende les colonies françaises contre un harcèlement anglais
permanent, enlève la décision, quand les idéaux humanistes déjà propagés par la
philosophie des Lumières, portés en particulier par la Société des Amis des
Noirs à Paris, ne parvenaient pas à l’emporter face aux intérêts économiques
des lobbies coloniaux.
Cette décision qui confère la citoyenneté française à tous
les hommes domiciliés dans les colonies, sans distinction de couleur, abroge de
fait la traite négrière.
n sait que si cette décision fut révoquée par la loi
napoléonienne du 20 mai 1802, elle n’avait pu s’appliquer en fait qu’en Guyane,
Haïti et la Guadeloupe.
Lors de son retour au pouvoir des Cent jours, Napoléon abolit finalement la
traite par décret du 29 mars 1815 puis, enfin, la Monarchie de Juillet abolit
l’esclavage par décret du 27 avril 1848.
Au lendemain de l’abolition de l’esclavage dans les colonies
françaises, le gouverneur Baudin essaye en 1849 d’établir deux
villages de liberté à Ndar-Tout et à Sor, autour de Saint-Louis.
En 1880, les missionnaires de la société des missions de
Paris créèrent le village de Bethes ou Khor, également près de Saint-Louis.
Mais les villages de liberté les plus importants étaient près de Matam à
Civé, à Podor et dans le Niani Ouli (Maka Kaba, Gamou, Diendé, Baby
et Tambacounda).
Puis, d’autres petits villages existèrent un peu partout, Kaolack et Karabane pour
les plus connus, selon Majhemout Diop .
Mais la plupart de ces villages ne devinrent dans la
pratique que de petites réserves à usage de l’administration, d’une
main-d’oeuvre plus ou moins forcée (202).
Le clivage d’une société où le travail était assuré principalement par les
esclaves a contrarié la mise en œuvre de leur affranchissement.
Selon Majhemout Diop, il y avait encore au Sénégal à la fin du XIXe siècle, un
esclave pour un homme libre et, dans certaines régions, quatre à seize esclaves
par homme adulte libre.
L’abolition ne valait que pour les territoires administrés par les Français,
aussi, la loi coloniale ne vit une application réelle qu’au début du XXème
siècle, avec le parachèvement de la colonisation, mais aussi, dans la pratique,
en raison du changement radical qu’elle imposait à des mœurs ancestrales et
parce qu’elle desservait le besoin d’une main d’œuvre pour les travaux
d’infrastructure de la jeune colonie alors qu’il n’était possible de mobiliser
cette manne ouvrière qu’auprès des chefs locaux qui disposaient d’une
population assujettie.
Un document administratif de l’époque, cité par Majhemout
Diop (205), précise à quel point l’abolition devait entraîner un véritable
changement de société puisqu’il était admis qu’à quelques exceptions près,
l’homme libre ne travaille pas (200).
Il paraît pertinent de rappeler quel était aussi le contexte
socio-économique et culturel de la France agricole et industrielle de l’époque,
qui engageait ces réformes abolitionnistes au Sénégal.
Depuis les féodalités carolingiennes, le statut
socio-économique des Français était le servage pour le plus grand nombre des
non possédants et des sans grade.
Cette condition paysanne, issue de la tradition esclavagiste romaine et
gauloise, était encore répandue en 1789, notamment dans les domaines
ecclésiastiques, malgré son remplacement progressif à partir des XIe-XIIIe
siècles par un droit seigneurial de justice et de rente (censives).
Ensuite, le développement de la production industrielle au
XIXe siècle allait instituer la condition ouvrière qui, en attendant des acquis
sociaux catégoriels et l’élaboration d’un encadrement juridique plus solidaire,
sera loin de répondre à la liberté individuelle et à l’égalité que la
révolution de 1789 avait permis d’envisager après les bonnes pages humanistes
de la philosophie des Lumières.
L’extrême pénibilité, la durée importante du temps de
travail et le faible salaire ne permettaient pas de s’affranchir d’une
condition de vie que l’on croyait abolie.
A titre d’exemples, rappelons que la loi du 22 mars 1841 interdit le travail
des enfants de moins de 8 ans et limite à 8 heures la durée de travail des
enfants âgés de 8 à 12 ans.
Et il faut attendre 1916 pour que la journée de travail des femmes soit limitée
à 10 heures, mais seulement pour celles âgées de 18 à 21 ans.
A partir de 1918, les femmes ne descendent plus dans les puits et les galeries
sous terre pour extraire le charbon aux côtés des mineurs.
Malgré la Déclaration des Droits de l’Homme, la femme est
exclue du principe d’égalité, elle est considérée comme une mineure
perpétuelle, qui appartient à son mari quand elle est mariée, depuis le code
civil de Napoléon en 1804 jusqu’à la loi du 18 février 1938 qui lui concède un
peu de capacité juridique propre.
Si, malgré ces conditions ouvrières et paysannes guère
enviables aujourd’hui, la France ne connaissait pas l’esclavage sur le sol
métropolitain ni de ségrégation raciale, cela ne l’empêcha pas d’exercer aux
XIXe et XXe siècles la suprématie coloniale sur d’autres continents.
Aux Etats-Unis d’Amérique la pratique de l’esclavage fut une
caractéristique socio-économique.
A partir de 1619, date de la capture d’un négrier espagnol qui permit
l’installation d’une vingtaine de Noirs en Virginie, jusqu’en 1865, date du XIIIe
amendement de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique.
L’application des droits constitutionnels fut entachée par le régime de
ségrégation raciale que supportèrent les 4,44 millions de Noirs vivant aux
Etats-Unis à cette époque, soit 14,10 % de la population états-unienne, ainsi
que leurs millions de descendants jusqu’au-delà du milieu du XXe siècle.
Mais, après cette mise en perspective édifiante pour ne pas
perdre de vue le contexte d’une époque, revenons au Sénégal où l’émancipation
issue des Principes constitués par la Révolution française ne fut pas simple à
mettre en œuvre.
Le représentant des commerçants du Sénégal, Barthélémy
Durand-Valentin, parle en 1849 de « l’immense dommage de l’émancipation
qui pèsera longtemps sur la colonie et auquel l’exiguïté de l’indemnité sera
loin de porter un suffisant allègement » (206).
L’Abbé Boilat observe en 1853 que « la libération arriva comme un coup
de foudre, les maîtres furent réduits pour la plupart à la plus grande gêne »
(201).
Léon Faidherbe constate en 1860 que les habitants de Saint-Louis ne
possédaient que quelques esclaves, mais leur émancipation ruina certaines
familles malgré l’indemnité payée par le gouvernement (207).
Aussi, Victor Schoelcher, qui avait porté le décret
d’abolition en 1848 lorsqu’il était député de Martinique, intervient-il au
Sénat le 1er mars 1880, soit 32 ans plus tard, pour condamner des faits
d’esclavage qui perdurent au Sénégal :
« Les journaux ont retenti récemment d’actes d’esclavages qui affligent
encore notre colonie du Sénégal. L’opinion publique s’en est émue.[…] Les
habitants vivent sous notre pavillon mais gardent leur statut personnel. Nous
ne pouvons exercer auprès d’eux […] qu’une influence morale ; nous ne pouvons
pas leur imposer nos lois, nous ne pouvons pas leur interdire l’esclavage, pas
plus que la polygamie, qui est dans leurs mœurs. […] les faits que je rapporte
sont arrivés sur des points de notre colonie déclarés territoire français dont
les habitants, en même temps qu’ils ont acquis des droits de citoyens français,
en ont contracté les obligations : la loi du 27 avril 1848 abolissant
l’esclavage porte le principe que le sol de France affranchit qui le touche,
[ce principe] est appliqué aux colonies et possessions de la République »
(214).
A noter que déjà en 1315, un édit du roi de France Louis X
Le Hutin stipule que « selon le droit de nature, chacun doit naître
franc ».
Au Sénat, Schoelcher cite encore une dépêche ministérielle
du 26 octobre 1848 qui « recommandait au gouverneur du Sénégal
d’avertir les chefs et gens du pays qui viennent chez nous accompagnés de
captifs d’avoir à les laisser aux portes de Saint-Louis et de Gorée, s’ils ne
voulaient pas s’exposer à les perdre» (214).
Mais ce précepte n’est pas respecté, Schoelcher déplore que l’esclavage existe
au grand jour à Saint-Louis : les captifs réclamés par leur maître sont
expulsés pour vagabondage dangereux, et pour ceux qui ne sont pas demandés dans
le délai de trois mois, la publication au Moniteur du titre de liberté qui leur
est accordé est contraire au principe qu’il n’y ait pas d’esclave à affranchir
dans un pays où il n’y a pas d’esclavage.
Une lettre du chef de bataillon Delassault adressée le 30 juillet 1856 aux chefs de Gandiol nous instruit explicitement à ce sujet : « A la réception de votre lettre où vous réclamez deux captives, Fatma et Maria, je me suis empressé de faire rechercher ces deux captives pour les expulser de Saint-Louis pensant que c’était depuis peu de temps qu’elles s’étaient sauvées de Gandiol. Mais il arrive que vous avez été trompé par la propriétaire de ces esclaves, la femme Coumba Laobe, qui nous a déclaré qu’elle avait elle-même donné la liberté à Maria depuis 15 ans qu’elle habite à Saint-Louis. Quand à la nommée Fatma elle se trouve maintenant louée comme nourrice d’un des enfants d’un habitant de cette ville et ceci depuis 10 à 11 mois à la connaissance de la femme Coumba Laobe. Cet Européen ayant saisi la justice de cette affaire, nous ne pourrons l’expulser de l’île que lorsque la femme Fatma aura terminé de nourrir l’enfant, car il y aurait de l’inhumanité, vous le comprendrez bien, à priver un enfant du lait de sa nourrice. Quant à vos captifs vous n’avez rien à craindre pour l’avenir, car nous ne provoquons pas la désertion des esclaves ou captifs. Lorsque nous apprenons que quelques-uns se sont réfugiés à Saint-Louis, nous les ferons de suite expulser de l’île. De plus, la faculté est donnée aux indigènes de l’extérieur de se faire accompagner de leurs captifs, en quelque sorte jusqu’aux portes de Saint-Louis et de Gorée, parce que ces villes ont à leur proximité des territoires sur lesquels ne s’étend pas l’émancipation des esclaves. Vous voyez donc bien que les esclaves qui viennent nous demander leur liberté non seulement ne sont pas reçus, mais sont expulsés de l’île. A vous à les reprendre alors, ce n’est plus notre affaire. » (in Archives du Sénégal, 3B 91, fol.24, lettre n°8, éd. Oumar Ba 1976).
Au Sénat, Schoelcher cite aussi une lettre en date du 10 mai
1878 de M. Batut, magistrat à Gorée : « vous vous imaginez en France
que l’esclavage n’existe plus depuis 1848. Détrompez-vous, nous l’avons ici en
plein, non pas chez les Blancs, mais tous les Noirs ont des esclaves, et ce
qu’il y a de plus fort, c’est que l’administration y tient la main ».
Cette situation est encore confirmée dans une lettre publiée
le 26 septembre 1879 dans l’Eglise libre par M. Villeger, missionnaire, citée
encore par Schoelcher à l’appui de son intervention : « on vend et on
achète encore des esclaves dans toutes les villes de notre dépendance. Le prix
d’un enfant est de 150 à 200 fr, celui d’un adulte est de 250 à 300 fr. […] à
l’exception de Saint-Louis, Gorée et Dakar, des caravanes
d’esclaves traversent librement des territoires français. Une seule fois, un
capitaine commandant la ville et le canton de Dagana prit sur lui
d’arrêter un convoi ; par ordre supérieur il dut les rendre au négrier. »
Il est vrai que la loi de 1831 tendait à réprimer le
transport d’esclaves à travers l’océan atlantique et une jurisprudence se
constitua à Saint-Louis qui considéra que sur la terre ne s’appliquait que la
loi de 1848.
La loi de 1848 ne portait que sur les colonies et possessions françaises, elle
n’empêchait pas l’esclavage sur le reste des territoires même limitrophes, à
savoir aux portes mêmes de l’île Saint-Louis ou de Gorée.
L’intervention de Schoelcher au Sénat est significative de
la difficulté à mettre en œuvre un principe supra-régalien que la nation
française voulait universel, les Droits de l’Homme, dans des territoires où,
selon François Renault, «l’esclavage fait partie intégrante des mœurs et des
institutions».
Le commerce et l’administration ne pouvaient risquer
d’imposer une telle déstructuration des sociétés indigènes et n’en avaient pas
les moyens indemnitaires. Ainsi le sénateur conclut son intervention en
demandant que l’on ne porte pas le désordre dans les sociétés noires mais que
dans les territoires déclarés français, la loi soit appliquée.
Le milieu du XIXe siècle voit une profonde modification de
la société sénégalaise en relation avec les Européens.
La situation économique dégradée par l’abolition de l’esclavage favorisa
l’émergence d’un libéralisme qui aura raison d’un système commercial
monopolistique à bout de souffle : « Vers 1848, le régime des comptoirs
auquel le gouvernement métropolitain avait réduit le Sénégal, au lendemain de
l’échec de la colonisation agricole prônée par Schmaltz et Roger, a fait
faillite. Tous les négociants européens ou mulâtres, et les officiers de marine
constatent cette grave situation. Le commerce de la gomme demeure la ressource
essentielle de la colonie car l’arachide, produit de faible valeur, ne fait que
débuter ».
Mais faute d’organisation commerciale et de relations
négociées avec les Maures qui contrôlent le trafic le long du fleuve, les
quantités de gomme exportées du Sénégal ne cessent de diminuer : 3769 tonnes en
1845 et 2264 tonnes en 1847. «Les peuples africains multipliaient leurs
exigences et menaçaient le commerce français par leurs conflits incessants. Le
Sénégal n’était dès lors qu’un archipel de comptoirs battus de flots tumultueux
où la vie ne pouvait qu’être inquiète et misérable».
Cette insécurité nuisible aux intérêts des établissements
français et à la sécurité des négociants, allait entraîner la colonisation
française des territoires sénégalais, et jusqu’au Soudan occidental.
En 1848, les Européens, en majorité commerçants, ne sont que
quelques centaines dans les comptoirs, peuplés de 13 000 habitants à
Saint-Louis et 4 500 habitants à Gorée, essentiellement mulâtres qui exercent
le quasi-monopole de la traite d’escale.
Avec une baisse du mouvement commercial de moitié entre 1845
et 1849, à laquelle s’ajoute un endettement important des traitants en raison
de l’émancipation qui les oblige au recours de salariés et en raison de la fin
de leur monopole, l’Assemblée nationale vote la loi du 30 avril 1849 portant
création d’un régime indemnitaire pour les propriétaires d’esclaves, celle-ci
était de 75 à 300 F par esclave pour un nombre estimé de 10 075 captifs
concernés qui fut ramené dans les faits à 6 703.
Les propriétaires des colonies à sucre avaient touché, quant
à eux, une indemnité par esclave de 430 F pour la Martinique, 470 F pour la
Guadeloupe, 618 F pour la Guyane et 705 F pour la Réunion (209).
Pour faciliter la mise en œuvre du versement de l’indemnité,
la Banque du Sénégal ouvrit ses portes en 1855, dans le centre commercial et
administratif de Saint-Louis.
Et, pour réorganiser la cohésion d’une société indigène bouleversée par la
réforme, les Français accèdent à la demande des habitants de Saint-Louis de la
création d’un tribunal musulman (décret du 20 mai 1857), alors que ceux-ci sont
soumis depuis le code civil promulgué en 1830 au respect de la loi française et
notamment celle du 24 avril 1832 qui accorde en contrepartie la citoyenneté à
tous les habitants libres du Sénégal,
Avec l’augmentation des agressions et actes de brigandage
des Maures, des Ouolofs et des Toucouleurs, les escales furent remplacées par
des postes militaires à Dagana et Podor, et les coutumes dues
aux chefs des escales furent supprimées, le moindre commerce était en effet
soumis à des droits de passage tout le long de la route jusqu’à sa destination,
mais la contrepartie sécuritaire n’était pas respectée.
La pacification du fleuve conduite par Faidherbe de 1855 à
1859 contre les Maures Trarzas qui avaient envahi le Ouolo et la défaite d’El
Hadj Oumar en 1860, furent un préalable pour constituer la colonie
française du Sénégal. Il fallut poursuivre cependant des guerres de
stabilisation notamment pour le Cayor, contre le Damel Macodou Couba Yande
M’Barrou, puis Lat Dior N’Gone Latyr, lesquels revenaient sans cesse sur
les traités qui devaient assurer suffisamment de garantie pour justifier des
investissements d’une colonisation coûteuse, avec notamment la construction des
infrastructures utiles entre Dakar et Saint-Louis.
Le chemin de fer de Dakar à Rufisque est inauguré en 1883 grâce à un traité avec le successeur de Lat Dior, Ahmadi-N’Gom-Fall, Damel du Cayor. La ligne Dakar-Saint-Louis est inaugurée en 1885.
Dans un article publié en 1950 parmi les comptes rendus de
l’Académie des Sciences coloniales (204), le Professeur Auguste Chevalier
rapporte qu’en 1902 il put assister aux entretiens d’administrateurs avec le
gouverneur général Roume à Saint-Louis. Celui-ci interrogea un haut-fonctionnaire
sur la suppression de l’esclavage au Soudan occidental (Mali actuel), après les
conquêtes des armées coloniales conduites par Galliéni puis Archinard de 1880 à
1894 contre le Cheik Ahmadou, fils d’El Hadj Omar et roi de Ségou, puis contre
l’Almany Samory Touré, et contre le marabout Mahmadou-Lamine qui engagea une
guerre sainte en 1885-86.
Le fonctionnaire en vint à déplorer que la suppression de l’esclavage était
impossible tellement cela était entré dans les mœurs.
Roume répliqua qu’il fallait que cela se fasse pourtant.
Sécurisée et disponible, la population des captifs fut alors
sollicitée pour accomplir les grands travaux d’infrastructures et
d’aménagements que la France entreprit en Afrique occidentale.
Auguste Chevalier estime qu’avec ses emplois rémunérés qui
permettaient aux esclaves d’acheter leur liberté, le commerce des esclaves et
leur exportation par les caravanes avait cessé en 1910.
Dominique MOISELET, mars 2021