En 1816, la France récupère ses comptoirs au Sénégal, occupés par les Britanniques au cours des guerres de l'Empire. Louis XVIII décide d'envoyer des colons prendre possession de ce territoire rétrocédé.
Le 17 juin 1816, une division de bâtiments militaires
chargée d'acheminer les fonctionnaires et les militaires affectés au Sénégal,
ainsi que des scientifiques et des colons (soit 392 personnes au total), quitte
l’île d'Aix pour rallier Saint-Louis du Sénégal. La division se compose de la
frégate la Méduse, navire sous le commandement du capitaine de frégate Hugues
Duroy de Chaumareys, de la corvette l’Écho, du brick l’Argus et de la flûte la
Loire. Parmi les passagers à bord de la Méduse se trouvent notamment le colonel
Schmaltz, le nouveau gouverneur de la colonie du Sénégal, accompagné de son
épouse, le commis de première classe et futur explorateur Gaspard Théodore
Mollien, ainsi que l'écrivaine Charlotte-Adélaïde Dard et son père; René
Caillié, un autre explorateur, est à bord de la Loire5. De grandes quantités de
matériel sont aussi embarquées.
Hugues Duroy de Chaumareys qui commande la Méduse est un
noble royaliste qui n'a quasiment plus navigué depuis l'Ancien Régime. Il
commence la traversée en distançant les autres navires, plus lents que le sien,
et se retrouve ainsi isolé. N'écoutant pas les avis de ses officiers qui le
détestent (comme les anciens soldats napoléoniens à son bord et dont la
monarchie tente de se débarrasser), il accorde toute confiance à un dénommé
Richefort, un passager prétendant avoir déjà parcouru les parages7. Il se
trompe dans son estimation de la position du navire par rapport au banc
d'Arguin, obstacle connu des navigateurs. Au lieu de le contourner en passant
au large comme l'indiquent ses instructions, il rase les hauts-fonds, jusqu'à
ce que l'inévitable se produise le 2 juillet vers 15 heures.
« Plan du radeau de La Méduse, au moment de son abandon.
Cent cinquante Français avaient été placés sur cette machine : quinze seulement
furent sauvés treize jours après ».
La frégate s'échoue sur un banc de sable à une douzaine de
lieues (50 kilomètres) des côtes8. Plusieurs tentatives de renflouement
échouent. L'équipage construit alors un radeau de vingt mètres sur sept,
composé de pièces de bois récupérées dans la mâture, destiné à recevoir du
matériel afin d'alléger le navire. Après quelques jours, souffle une violente
tempête qui secoue la frégate échouée, provoque plusieurs voies d'eau dans la
carène et brise la quille. L'état-major du navire craint que le navire ne
finisse par se désagréger. L'abandon est décidé. Une liste répartissant les
personnes dans les canots de sauvetage est constituée en secret.
Le désordre est indescriptible. Plusieurs marins sont ivres morts en permanence, à l'instar du commandant Hugues Duroy de Chaumareys souvent aviné. Les officiers tentent de garder le contrôle de la situation, mais le commandant et les passagers de marque n'auraient pas brillé par leur exemple ce jour-là. Le 4 juillet, les six canots et chaloupes sont mis à l'eau ; sur le radeau s'entassent 151 (ou 152 ?) marins et soldats avec quelques officiers, ainsi qu'une femme cantinière. Il est prévu que le radeau soit remorqué à terre par les chaloupes et tout le monde doit atteindre le Sénégal en longeant le littoral saharien. Dix-sept hommes restent sur l'épave de la Méduse espérant, sans doute, être secourus plus tard ; trois d'entre eux seulement sont retrouvés en vie le 4 septembre suivant.
Très vite, les amarres ne relient plus les chaloupes à la
masse considérable du radeau qui part à la dérive (largage volontaire, le
radeau faisant dériver dangereusement la grosse chaloupe en surcharge ?
Accident ?). Certaines chaloupes gagnent la côte, des hommes tentent leur
chance dans le désert, accablés par la soif, la marche et l’hostilité des
Bédouins. Ils sont récupérés après quinze jours d'errance par une caravane sous
la houlette d'un officier déguisé en Maure, mais il y a eu plusieurs morts.
D'autres chaloupes restent en mer et atteignent Saint-Louis en quatre jours,
rejoignant l’Écho et l’Argus amarrés. Parmi les passagers de ces dernières
figurent le commandant Chaumareys et le colonel Schmaltz.
Les marins et soldats du radeau, appelé rapidement la
Machine, essaient de gagner la côte mais dérivent. L'équipée qui dure treize
jours fait de nombreuses victimes et donne lieu à des noyades, bagarres et
mutineries, tentatives de sabordage ainsi qu'à des faits de cannibalisme en
raison du manque d'eau potable et de vivres (la capture de poissons-volants
étant insuffisante, certains rongent les cordes du radeau, mâchent leurs
ceintures ou leurs chapeaux). Les naufragés n'ont que des barriques de vin à leur
disposition. Le 17 juillet, le commandant Chaumareys envoie l'Argus non pas
chercher les naufragés, dont il estime qu'il ne reste aucun rescapé, mais trois
barils de 92 000 francs en pièces d'or et d'argent. Le brick, après avoir
atteint Saint-Louis, retourne sur le lieu du naufrage et récupère seulement
quinze rescapés du radeau, dont cinq mourront avant l'arrivée à Saint-Louis.
L'épave retrouvée
Le 4 décembre 1980, sur la base des relevés du Service hydrographique et océanographique de la marine nationale (SHOM), l'équipe du Groupe pour la recherche, l'identification et l'exploration de l'épave de la Méduse (GRIEEM, association régie par la loi de 1901, présidée par le professeur Théodore Monod, de l'Académie des sciences) identifie les restes métalliques de l'épave de la Méduse sous cinq mètres d'eau grâce à un levé magnétique réalisé par des ingénieurs et des magnétomètres du Commissariat à l'énergie atomique de Grenoble. Une partie de l'équipement du bateau, dont un canon est récupéré et exposé au Musée national de Nouakchott11.
Retentissement
L'incompétence des officiers et les récits autour du radeau
provoquent une certaine émotion dans l'opinion lorsque deux des survivants de
l'équipage rapportent l'événement dans un livre : Jean Baptiste Henri Savigny,
chirurgien, et Alexandre Corréard, l’ingénieur-géographe des Arts et Métiers.
Le Naufrage de La Méduse, 1818, lithographie de Charles
Philibert de Lasteyrie d'après une composition d'Hippolyte Lecomte.
La cour martiale siège à Rochefort, à l'hôtel de la Marine à
partir du 22 janvier 1817, présidée par le contre-amiral La Tullaye, assisté
par sept capitaines de vaisseau, dont Le Carlier d'Herlye en qualité de procureur du Roi. Du 3 au 12
février est procédé à l'interrogatoire du commandant de la Méduse. Le procès
s'ouvre le 24 février 1817, et se déroule à bord du vaisseau amiral, mouillé
dans la Charente. L'audition de Chaumareys n'intervient que le 24 février. Le
28 février, le rapporteur (procureur du Roi) présente son réquisitoire. Le 1er
mars est consacré à la défense. La délibération se déroule le lundi 3 mars
1817, et se termine à 23 heures. Le jugementest prononcé à l'issue. Hugues Duroy
de Chaumareys, natif de Vars-sur-Roseix (Corrèze), âgé de 51 ans, chevalier des
ordres royaux de Saint-Louis et de la Légion d'honneur est condamné :
À la
majorité de 5 voix sur 8 à « être rayé de la liste des officiers de marine et à
ne plus servir
À la
majorité de 5 voix sur 8 à « accomplir trois années de prison » ;
« Aux
dépens occasionnés par le procès ».
À 23 h 30 le contre-amiral de La Tullaye s'adresse au
condamné : « vous avez manqué à l'honneur. Je déclare au nom de la Légion, que
vous avez cessé d'en être membre, ainsi que de l'ordre royal et militaire de
Saint-Louis. » La Tullaye s'avance et enlève lui-même les décorations. Plus
largement, le scandale et l'indignation qui suivent le drame sont aussi dirigés
contre une marine archaïque aux mains des royalistes, qui avaient choisi
d'ignorer les apports de l'Empire dans le domaine maritime.
C’est la Restauration tout entière qui est mise en procès.