Le Tékrour (aussi
connu comme : Tekrour, Tekrur ou Takrur) est un ancien État d’Afrique de
l’Ouest concurrent de l’empire du Ghana, attirant le commerce de l’or par la
route longeant l’Océan Atlantique. Situé dans la moyenne vallée du fleuve
Sénégal, on y pratique le commerce de l’or (exploité dans la région du
Bambouk), du sel d’Awlil et des céréales du Sahel, ainsi que de la traite des
Noirs. Le royaume se convertit à l’islam au xie siècle.
Selon des sources
portugaises, vers 1510, l’or du Tekrour alimente deux caravanes annuelles qui
par le Fezzan amènent en Égypte le métal jaune « en grande quantité ».
ORIGINE DU NOM
Le mot Tekrour
apparaît dans les textes arabes (xie – xiie siècles) pour désigner un État,
mais aussi une ville ou un souverain. Plus tard, les écrits portugais du xve
siècle précisent qu’il s’agit d’un État situé à l’est du Djolof sur le fleuve
Sénégal (rio Çanagua). Par déformation le mot Tékrour, serait à l’origine de
Toucouleur.
Selon Niang,
l’origine comme la formation du terme « Tekrur » ou
« Takrur » associe en réalité les noms des deux plus anciennes
provinces du Fuuta : « Law » + « Toor », car, de leur association, on obtient :
« Takroor » / Tak-roor /, avec la forme « Tak » qui est variante de « Law »,
tandis que « roor » est la base qui évoque le nom de l’ancien royaume « Tooro »
(Toor-o) .
LA SITUATION POLITIQUE
Histoire ancienne
des Sérères et Histoire des Sérères du Moyen Âge à nos jours.
Le Fouta, depuis le ive siècle, connaît des pouvoirs politiques plus ou moins
liés aux empires constitués dans le Soudan occidental. Cependant, dès le xiiie
siècle et le xive siècle, les dynasties sont indépendantes de ces empires.
La première dynastie
est la dynastie peul de Dia Ogo ou des Diao, installée dans le Tekrur au ixe
siècle. Elle aurait duré 130 ans d’après Siré Abbas Soh. Leur origine et leur
installation dans la région ressortent de la légende. Ils gouvernèrent sous la
souveraineté ou dépendance de l’empire du Ghana. Voici ce qu’en dit Yoro Boly
Dyâo de cette dynastie Dia Ogo : « … c’est cette migration qui aurait apporté
avec elle dans le pays l’industrie métallurgique. Les forgerons donnent au fer
obtenu dans leurs fourneaux le nom de hogo. Si l’on remarque que ce mot fait
partie de « Dyahogo », on ne peut manquer de voir là un argument en faveur de
la véracité de la tradition. Les gens de cette migration étaient armés de
sagaies, sabres, poignards et couteaux en fer ; ceux des grandes familles
avaient des armures complètes de ce métal. C’est également cette migration qui
aurait inauguré la culture du sorgho (gros mil) dans les terrains d’inondation
du fleuve Sénégal. On dit que le roi d’Égypte sous lequel eut lieu cette migration
se nommait Paté Lamine (Ptolomée). Ces deux noms réunis ou pris isolément sont
d’un emploi fréquent chez les Sossé (Mandingues), les Malinké, les Peuls, les
Khassonké, les Sarakhollé ; ils sont d’un emploi moins fréquent en pays ouolof.
»
Vers 980, la
dynastie des Mannas a succédé à celle des Dia Ogo. Elle serait d’origine
soninké et aurait duré trois siècles jusque vers 1300. Ses origines se situent
à Nioro, dans le royaume de Diarra actuel (Mali).
Les Tondyons
(1300-1400) sont la troisième dynastie du Fouta, d’origine sérères.
Au xve siècle, des
familles autochtones se sont succédé pour constituer les dynasties Laam Taaga,
d’origine berbère, Lemtouna ensuite. Il s’ensuit la conquête du Tekrour par le
Bourba Diolof Thioukly Djiglane Sarré Ndiaye qui pendant la période 1456-1506
gouverna le Tekrour grâce à ses gouverneurs tributaires comme les Farbas et les
Lam-Toros. Il y avait plusieurs Farabas comme le Farba Walaldé qui est un
Dieng, le Farba Ndioum, le Farba Ndiowol qui est un Diop, le Farmbaal et le
Farba Awgal.
À ces dynasties a
succédé celle des Dényankobés qui est fondée par Koli Tenguella (qui, par huit
fois, échoua dans sa conquête du royaume de Farba avant d’y parvenir à la
neuvième et d’épouser une des filles du Farba et finalement laisser le pouvoir
à Diam Diam Sargane), vers le milieu du xvie siècle (1559) et durera jusqu’en
1776, date à laquelle une dynastie théocratique (dynastie Torodo) fondée par
Souleymane Baal la remplacera.
SURVOL HISTORIQUE DU FOUTA
Le Fouta, partie
intégrante de ce monde en évolution, c’est une suite de siècles vivants de gens
et de choses. Nos traditionalistes reconnaissent qu’ont successivement régné
sur le Foûta (de 850 à 1559) :
- Les Diâ Ogo ou Oukka venus du Nord Syrie
(Siré Abbâsse), sont les premiers à introduire la culture du gros mil. Ce
sont aussi les ancêtres de nos bijoutiers, selon Abdoullây Kane.
Leur dernier roi est
tué par Wâr Diâbi fondateur de la dynastie Manna.
- Les Manna seraient originaires de Diâra,
des Diakité ayant étendu leur suzeraineté sur le Foûta. Leur roi Wâr Diâbi
mort en 1040 est le premier islamisateur du Tékrour.
- Les Tondiong (captifs de l’Empire
Mandingue?) vers 1300. Des Tondiong sont des Sérèr mélangés aux Diâ Ogo.
Avec des Mandingues ils contribuèrent au renversement des Diakité de Diâra
au profit des Diâwara. C’est à l’époque des Tondiong que furent introduits
les titres d’origine mandingue (Farba) et que fut fondé l’Empire du
Diolof.
- Les Lâm Termès (invasion). Du Hodh au
XVème siècle, arrivent les :1 - Lâm Termès (1400-1450) avec une troupe
composée de: Peuls, Soninké, Mandingues. Ils mirent fin à la domination
des Tondiong. 2 - Puis les Lâm Tâga, à la tête de la tribu Peul métissée
de Maures. L'un de ces Lâm Tâga, Moûssa Eli Banâ, s'installant à Guédé,
dont il fit sa capitale, devint le Lâm Tôro. Les Déniyankôbé (1559-1776).
En 1559, l'unité politique n'était pas réalisée. En effet la rive droite
sous la domination des Lâm Termès et des Lâm Tâga et la partie de la rive
gauche aux mains des Lâm Tôro, tout le reste du Foûta était sous la
domination des Diâwara de Diara, qui, eux-mêmes après avoir échappé à la
suzeraineté mandingue, étaient passés dans la mouvance de l'Empire Songây.
Le chef Peul
Ténguella, père de Koli, nomadisant au Kingui, est tué en 1512 par Amar
Komdiago, frère de l’Askia Mohamed de Gâo. Au Badiâr, les bandes se reforment
sous le commandement de Koli, fils de Ténguella, au nord du Foûta Dialon.
De là, conquête du
Foûta et l’agrandissement au dépens du Kaniâga et de la partie orientale du
Diolof. Au Bambouk, défaite infligée par Mamadou II.
Koli domina le
fleuve de Dagana à Bakel.
Déni, d’ou est tiré
Dényankobé, est la mare ou auraient campé les troupes de Koli avant
d’entreprendre la conquête du Foûta.
- Derniers princes. Les Tôrodbé, ces
orants, sous l’égide de Souleymân Bâl, docteur des lettres coraniques,
renversent le régime païen.
Deux sources peuvent être exploitées
pour retrouver des bribes d’histoire sur le Tékrour :
- Les
sources autochtones, la tradition orale
- Les
sources écrites étrangères, arabes et portugaises, notamment
Voici quelques éléments que nous raconte la tradition
orale :
- La
conquête des Almoravides musulmans a bouleversé l’ordre animiste établi
…….
- Les
siècles qui suivirent le début de l’ère chrétienne ont laissé peu de
traces dans la mémoire collective, malgré l’importance des évènements
d’alors, notamment la diffusion des techniques métallurgiques et
l’introduction de nouvelles cultures.
- Selon
des traditions recueillies auprès de tribus mauritaniennes du Trarza et
de l’Adrar, des populations noires vivaient au nord de leur
implantation actuelle, jusqu’au voisinage de l’Atlas marocain,
venues de la Cyrénaïque vers le 2ème siècle, pour
atteindre le Hohd vers le 7ème siècle, avant de se
réfugier dans le Tékrour un ou deux siècles plus tard.
- Vers
le 8ème siècle ces populations ont créé le premier royaume soudanais
connu, le Ghana ou Wagadou, situé aux Nord
des boucles divergentes des fleuves Niger et Sénégal.
Un autre royaume apparaît à la même époque, celui du Gdiaga,
entre le haut Sénégal et la Falémé, connu
sous le nom de Galam.
Ses fondateurs auraient combattu les « Dya Ogo » du
Tékrour, libéré, donc, à cette époque, de la tutelle du Ghana et dominant
le Galam. Une importante migration s’en suit de Serer et Wolof vers
le Sud, et de Peuls vers le Fouta Djallon.
- A la
ruine du Wagalou puis du Diara (Kaniaga), à l’émancipation des royaumes
autrefois tributaires du Ghana, tels que le Gadiaga, le
Tékrour et le Sosso, succède la montée en puissance de l’empire
du Mali, à partir du 13ème siècle, marqué par le roi du Mandé qui
« s’emparait de tout le butin qu’il désirait » puis, surtout, du
roi Soundiata. Lequel empire était bien structuré.
- Le
Royaume du Tékrour a traversé ces périodes troubles de reflux de
populations noires, de migrations cycliques des peuls, de dispersions des
soninkés, et d’extension des peuples mandings.
- A-t-il
réussi à développer une civilisation originale et une unité culturelle ?
- La
chronique orale du Fouta, propre aux Toucouleurs et
aux Peuls, évoque le Füta du Toro, et son roi, Dya Ogo,
un nom donné plus tard au fer obtenu dans les fourneaux, ce qui
expliquerait la domination des peuls sur d’autres populations, Serer, Wolof,
Lébou et Soninké, du fait de leur maîtrise de l’extraction du fer.
- En
tout état de cause, on note une poularisation des populations du Fouta au
10ème siècle. Les « Toucouleurs » se désignant comme « ceux
qui parlent peul » sans pour autant se considérer comme
appartenant à l’ethnie peule.
- Il
est probable que l’islamisation du Tékrour au début du 11ème siècle est à
l’origine du déclin de la dynastie ; la suite des évènements est
marquée, d’après des écrits arabes, par un souverain inconnu de la
tradition orale, War Diabi, fils de Rabis, devenu
souverain du Tékrour et qui se serait converti à l’Islam.
- La dynastie
soninké des Manna aurait régné sur le Tékrour du 11ème au 12ème
siècles avant une forte perturbation provoquée par les invasions
consécutives à l’ascension de l’Empire du Mali, marquée par les dynasties
du Tondyon, de Lam termes, du Lam Taga et
du Lam Toro. Cela se passait aux 14ième et 15ième siècles.
Voici quelques éléments issus des textes arabes et
portugais :
- C’est
du début du 8ème siècle que date la première mention
écrite connue du Soudan, par Wahb Mannuabbih.
- Des
arabes font une incursion au Soudan en 734.
- Des
pasteurs berbères, les Sanhadja, constituent une vaste
confédération étendue depuis l’Atlas marocain jusqu’à l’Adrar
de Mauritanie.
- Vers
836, ils étendent leur autorité sur les groupes négro-africains installés
autour d’Awdaghost.
Le 11ème siècle est marqué par l’épopée almoravide. Une
violente guerre sainte a lieu en 1 042 à travers l’Adrar et le Tagant
mauritaniens, à laquelle se joignent des armées noires venues du Tékrour
motivées par leur opposition au Ghana. En 40 ans, le Soudan,
le Sahara, le Maghreb et l’Espagne sont
balayés par cette invasion.
- Le
Tékrour s’y est sans doute associé jusqu’en Espagne, notamment
lors de la bataille de Zallaka en 1086 où des fantassins
« portant épées, boucliers et javelots » probablement
originaires du Tékrour, semèrent le trouble dans les rangs des chrétiens.
- Faute
d’organisation administrative, l’unique tentative d’Etat transsaharien
échoue. Le chef Abou Bakhr tente de rassembler les
berbères au Sud mais meurt dans le Tagant en 1 087, laissant, selon
la légende peu crédible, une femme toucouleur enceinte de
celui qui deviendra Ndiadiane Ndiaye, le fondateur du Djolof.
- Une
des rares évocations écrites sur les dynasties du Tékrour évoque
l’appartenance du Tékrour, vers 1340, à l’Empire manding.
- El
Bekhri est le premier à révéler l’existence de la ville de
Tékrour : « immédiatement après Sanghana et
dans la direction du Sud-Ouest, se trouve la ville de Tékrour, située sur
le Nil (le Sénégal était alors considérée comme un bras du Nil) et habitée
par des nègres ;
- Fiers
de l’islamisation forte du Tékrour, les auteurs arabes eurent alors
tendance à appeler ainsi tout le Soudan.
- Un
écrivain corrige la chose en ces termes : « le souverain du Mali
est celui que les gens de Misr (Egypte) connaissent sous le nom de roi du
Tékrour ; mais quand il s’entend appeler ainsi, il en est froissé,
car le Tékrour n’est que l’une des régions de son empire ».
- En 1506 les
premiers explorateurs portugais situent avec précision le Tékrour dans la
moyenne vallée du Sénégal et précisent qu’au peuple gyloffa
(Djolof) s’ajoute une nation qui s’appelle Tucuroes ….
Et c’est une multitude.
- Deux
textes évocateurs nous rapprochent de Podor :
- « Les
navires remontent ce fleuve seulement jusqu’au royaume de Tuculor que la
marée atteint à 60 lieux de l’embouchure »
- Delafosse
situe l’ancienne capitale du Tékrour vers Podor
L’islamisation du Tékrour
L’islam du Tekrour commence,
selon El-Bekri vers 1040 quand le roi du Tékrour s’est
converti à l’Islam. A cette époque, et par la suite, on note que la succession
au Tékrour se fait de père en fils.
- Cette
islamisation a provoqué l’exode des populations sérers, que,
d’après les textes, on peut situer entre le 12ème et le 13ème siècle,
d’abord vers le Djolof, puis vers le Sine ;
- Le
Tékrour fut le premier pays du Soudan à être islamisé mais toute la
population n’était pas islamisée pour autant ; des reflux ont été
observés au 14ème siècle, au 16ème,
·
L’Islam
progresse, le voilà victorieux avec la mise en place des Almâmi, chefs
religieux et politiques. On construit alors des mosquées, installe des imâms.
On porte la guerre sainte chez les Maures, au Wâlo, au Câyor, au Boundou, etc.
Le premier Almâmi, cet arbitre, mieux, un père qui aime et châtie à l’occasion,
est tué à Goûriki Samba Diôm (après 30 ans de règne). Les règnes de ses
successeurs sont généralement courts.
Le Tékrour dans le commerce transsaharien
C’est du quai de Podor que nous nous rapprochons ici, avec ces bribes
d’histoire que nous livrent les textes :
- Jusqu’en
1125 le Tékrour participe activement aux échanges soudano méditerranéens.
La ville de Tékrour est décrite par El Idrissi, un géographe
très connu de l’Occident musulman médiéval, comme étant, en 1 054,
plus grande que Silla, et plus commerçante.
- Des
pistes sont alors tracées, connues et pratiquées, passant notamment
par Kukdam, située à 10 km à l’Est d’Atar.
- Le
Tékrour est alors considéré comme le pays de l’or, que l’on
peut y acquérir en quantité. Vendu à poids égal contre du sel, du verre et
du plomb !
- En
1310 Ibn Azi Zar souligne : l’or est abondant dans
leur pays, mais ils ne savent pas l’employer. Ils utilisent de préférence
le cuivre qui leur est importé et que les marchands mettent à leur
disposition »
- Théodore
Monod a découvert en 1964 une caravane de cuivre dans le désert
mauritanien qui prouve l’importance de ce commerce, jadis : 2085
barres de laiton de 470 grammes datées au radiocarbone : fin
du 11ème siècle. Ces mêmes écrits arabes n’évoquent pas, à l’inverse de la
tradition orale, la fonte autochtone des minerais métallifères pourtant
très développée dans le Tékrour.
- L’apparition
et la diffusion de la métallurgie du fer en Afrique occidentale est
traditionnellement objet de débats.
- Pour
les uns elle vient de Meroë, capitale du royaume kush sur
le haut Nil, où le fer était travaillé dès le 3ème siècle avant J-C.
- D’autres
y voient une origine berbère ;
- D’autres
encore pensent qu’elle est autochtone et se réfèrent à Nok,
au Nigeria, où la production du fer apparaît 400 ans avant
J.-C.
En résumé, l’histoire
du Tékrour serait marquée par :
- De
800 à 1000 après JC, les dynasties des Dya Ogo
- De
1000 à 1100, les dynasties des Djabi, avec
l’islamisation,
- De
1100 à 1300, les dynasties soninkés des Manna,
- De
1300 à 1400, les dynasties serer des Tondyon,
- De
1400 à 1450, le règne des Lam termes, suite à une invasion
peule et soninké, suivie du morcellement du Tékrour
En 1881, le Foûta Sénégalais
passe entièrement sous domination française.
Le 18 Juin 1858,
soumission du Dimâr
Le 18 Juin 1860,
soumission du Tôro et du Damga.
Le 18 juin 1977,
soumission du Lâw et des Yrlâbé-Hebbiyâbé.
Le 18 Juin 1881,
soumission du Bôsséyâ et du Nguénâr.
Le dernier Almâni
Siré Bâbaly dit Boûbou Aba maintenu dans ses fonctions avec investitures
officielle (1881) est mort en 1890 à Diâba, son village natal.
Sources
Lesoleil.sn
Textes extraits du livre de Bruno Chavane : Villages
de l’ancien Tékrour
(Recherches archéologiques dans la vallée moyenne du fleuve Sénégal)
Karthala c.r.a.