L’histoire de la traite des esclaves en Sénégambie au 18e siècle est essentiellement celle de la concurrence franco-anglaise, surtout après l’expulsion des Hollandais de la côte à la suite de la guerre de la gomme dans les années 1720. Le premier contact des navigateurs français avec le fleuve Sénégal remonte au milieu du 15e siècle mais leur premier établissement fixe n’a été fondé qu’en 1638 quand Thomas Lambert construisit une loge de commerce sur la pointe de Bieurt, située à trois lieues de l’embouchure du fleuve.[2]
2Thomas Lambert était un capitaine marchand qui, depuis 1626 au moins, fréquentait l’Afrique. En 1638, les négociants associés de Rouen et Dieppe le choisirent pour conduire au Sénégal deux vaisseaux chargés de marchandises et de matériaux pour bâtir une habitation. Celle-ci fut construite en briques avec un appontement sur la rivière pour recevoir les cuirs et charger les barques. Elle subsista jusqu’en 1658 quant elle fut détruite par la mer qui avait rompu la barre. La seconde habitation, construite par le commis Louis Caulier, ayant été détruite aussi, les Dieppois furent obligés d’abandonner la place et de se retirer dans une petite île située au milieu du fleuve et mieux protégée contre l’assaut des vagues. Louis Caulier y construisit un fort en 1659. L’endroit, appelé Ndar par les autochtones, sera baptisé du nom de Saint-Louis en l’honneur du roi Louis XIV.
3Premier établissement permanent des Français en Afrique, Saint-Louis du Sénégal a servi de base pour la mise en valeur des colonies françaises d’Amérique. Chef-lieu de la Concession du Sénégal et entrepôt général de vivres et marchandises de traite, la ville devint rapidement un foyer humain où se côtoyaient des Noirs, des Blancs et des mulâtres. Les limites de la Concession française du Sénégal avaient été fixées par les lettres patentes du roi de France de 1696, à savoir du Cap Blanc au nord, jusqu’à l’embouchure de la rivière Sierra Leone au sud. Mais, en fait, pendant la première moitié du 18e siècle, les Français se désintéressèrent de la partie de la côte située entre les Bissagos et la Sierra Leone. Les deux centres principaux de la concession étaient les établissements côtiers de Saint-Louis, à l’embouchure du fleuve Sénégal, et Gorée, au large de la presqu’île du Cap-Vert [3] .
4Le fort de Saint-Louis était la résidence du directeur général de la Concession. Protégée des incursions venant de la mer par la langue de Barbarie à l’ouest et, au sud, par la barre qui gêne le franchissement de l’embouchure, Saint-Louis commandait l’entrée du fleuve Sénégal. Les Français avaient l’habitude d’engager des équipages noirs, surtout des mulâtres libres de Saint-Louis et Gorée appelés Gourmettes, pour le cabotage le long des côtes africaines et le franchissement de la barre. Cette opération réussie, les navires de haute mer s’arrêtaient devant le fort d’où partait une flottille pour assurer le commerce du fleuve. Pendant la saison des basses eaux, le commerce ne se faisait guère au-delà de Podor à cause de la rupture du cours d’eau en plusieurs endroits du fait du retrait des eaux. Le mil, les cuirs et peaux et surtout la gomme étaient alors négociés aux « escales » dites du Désert, du Coq et du Terrier Rouge dans le Fuuta Tooro [5] . Au moment de la crue, la flottille remontait le fleuve Sénégal jusqu’au confluent de la Falémé et ses environs, c’est-à-dire au pays de Galam.
5Ce pays était le poumon économique de la Concession avec l’or et les esclaves comme principaux produits de traite. Pour Saugnier, c’est « le lieu des bonnes affaires […]. On se procure chez cette nation beaucoup d’esclaves que les caravanes y conduisent de diverses contrées de l’Afrique. On y traite en abondance, or, morphil, pagnes et mille autres objets [6] ». Au-delà du Galam, toute la région du Haut-Sénégal-Niger était intégrée à la mouvance de Saint-Louis du Sénégal. Cette ville aurait été le plus grand centre de traite négrière en Afrique n’eussent été les difficultés de la navigation sur le fleuve Sénégal et la concurrence des Anglais, solidement implantés en Gambie, qui parvenaient à détourner vers ce pays une partie des caravanes qui allaient au Galam.
6Selon Prosper Cultru, la première expédition française au Galam date de 1667. Les Français avaient alors envoyé une trentaine d’hommes dans des barques, au moment de la crue, l’objectif étant de savoir si l’on pouvait naviguer de la rivière du Sénégal à celle de la Gambie. Cette première tentative se solda par un échec car les membres de l’expédition furent décimés par la fatigue. Le 23 juin 1685, une deuxième expédition conduite par Chambonneau, directeur de la Concession, s’arrêta au Fuuta Tooro car le souverain du pays ne voulait pas « qu’il allât en Galam à cause de Sambaboüé (Samba Booy), son ennemi, qui s’y était réfugié, avec qui il craignait qu’il n’eût quelque commerce [7] ». Par la suite, le Fuuta obligera plusieurs expéditions à renoncer au voyage de Galam. Les souverains de ce royaume, de même que ceux de tous les pays riverains du fleuve, conditionnaient le droit de commerce dans leurs territoires, ainsi que le passage au pays de Galam, au paiement de redevances appelées « coutumes ». Le souverain du Fuuta, par exemple, percevait des traitants européens, avec force protocole, divers articles de traite désignés sous les noms évocateurs de « bonjour du Roy », « grand bonjour du Roy », « coutume du Roy », « coutume des femmes du Roy », « coutume de l’alquier du Roy », « coutume de Camalinque [8] ».
7Le directeur de la Compagnie était désigné familièrement par les indigènes sous le nom « Borom Ndar » (le Seigneur de Ndar). Ce qui précède montre qu’il n’était pas tout puissant, loin s’en fallait. André Brüe, directeur de la Compagnie du Sénégal à partir de 1697 et premier concepteur d’une présence impérialiste française en Afrique occidentale bien avant Faidherbe [9] , l’apprit à ses dépens pour avoir cherché à imposer les intérêts de la Compagnie au détriment de ceux de ses partenaires au Sénégal. Il s’en tira après de longs jours de captivité et une forte rançon au profit de Lat Sukaabe Faal, souverain des royaumes Wolof du Kajoor et du Bawol, de 1695 à 1720 [10] . La faiblesse relative du « Borom Ndar » explique à cette époque sa propension à utiliser ses partenaires africains les uns contre les autres pour s’accommoder à la réalité du terrain en attendant, plus de trois siècles plus tard, d’asseoir sa souveraineté absolue sur le pays. Delcourt n’a pas tort de considérer la vallée du fleuve Sénégal comme le meilleur champ d’étude de la politique française dans ses rapports avec les populations indigènes africaines, surtout quand il s’agit de maintenir un équilibre relatif entre les communautés noires et arabo-berbères [11] .
8Sous André Brüe, un premier fort fut construit au Galam en 1699, mais il fut emporté par les eaux en 1702 [12] . En 1710, commença l’édification d’un nouveau fort qui sera achevé en 1714 et baptisé Fort Saint-Joseph [13] . La traite du fleuve était un véritable casse-tête pour les négociants français. Il fallut recourir à un personnel indigène nombreux. En 1720, toute la concession ne comptait que 98 employés civils dont 27 ouvriers et domestiques noirs et mulâtres. En 1736, il y avait 368 employés civils dont 229 ouvriers et domestiques noirs et mulâtres. Le personnel indigène était beaucoup plus important car les employés noirs et mulâtres de la marine de traite n’étaient pas recensés avec les ouvriers et domestiques [14] . Les embarcations utilisées dans le commerce du fleuve étaient des barques à fond plat que les Wolof appellent « mbana », gros porteurs évasés, plus aptes à la navigation fluviale que maritime, d’une capacité utile de dix à vingt-cinq tonnes [15] . Les chefs de ces embarcations, les « maîtres de barques », étaient choisis pour leur connaissance parfaite du fleuve. Ils étaient flanqués de leurs « mousses », apprentis navigateurs, et de « pileuses », femmes indigènes recrutées pour faire la cuisine et laver le linge. Des « maîtres de langues » étaient engagés pour leur parfaite connaissance des coutumes et langues du pays et leur aptitude de négociateurs infatigables. Ils étaient toujours au cœur des situations les plus dramatiques qu’ils contribuaient à apaiser. Ils pouvaient aussi être à l’origine de malentendus surtout quand ils parlaient un français trop approximatif. Toutefois, les « laptots », navigateurs et soldats à l’occasion, prototypes des futurs tirailleurs sénégalais, étaient les auxiliaires les plus indispensables. Ils se recrutaient parmi toutes les nations du fleuve, surtout parmi les Bambara. Selon Lacourbe, « sans ces gens là il serait impossible de monter au haut de la rivière ; car ce sont eux qui, quand le vent est contraire, halent la barque à la cordelle et se mettent quelque fois dans l’eau jusqu’au col, lorsque le bord de la rivière n’est pas praticable [16] ». C’étaient généralement des esclaves dont plusieurs appartenaient aux « signares » de Saint-Louis, dames de compagnie, généralement mariées à des Blancs, qui contrôlaient une bonne partie du commerce de la ville selon Pruneau de Pommegorge [17] .
9Environ deux tiers des esclaves vendus dans la Concession du Sénégal provenaient du commerce de Galam, soit en moyenne 1 300 à 1 500 esclaves par an. Certaines années, le nombre d’esclaves traités au Galam était supérieur à 3 000. L’apogée du commerce de Galam fut atteinte entre 1720 et 1750. Dans son Mémoire sur le commerce du Sénégal (1752), Pruneau de Pommegorge nous apprend que les bâtiments de rivière engagés dans le commerce de Galam mettaient ordinairement quarante jours pour y monter et en descendaient en huit à quinze jours. Certaines barques parvenaient à effectuer deux, voire trois fois le voyage avant la baisse des eaux et chacune d’elle pouvait apporter 80 à 120 captifs [18] . Durant tout le 18e siècle, les esclaves capturés sur le Haut-Sénégal et dans les pays voisins étaient aussi acheminés vers d’autres points de traite de la Sénégambie, notamment en Sierra Leone, aux comptoirs portugais de Guinée, et surtout en Gambie où des prix suffisamment élevés attiraient les commerçants Jula, Jaxanke et Soninke [19] . Abdoulaye Bathily estime que la Gambie a détourné bon an mal an, l’équivalent de 25 % du nombre d’esclaves traités par les Français au Galam.
10La Gambie était, avec la région des Bissagos, l’un des endroits de la côte où les compagnies reconnaissaient le droit pour les étrangers de posséder des établissements permanents. Les Anglais possédaient un fort – Fort James – sur une île située au milieu du fleuve. En amont de ce fort, ils interdisaient le passage aux Français car les captifs vendus dans la haute rivière coûtaient moins cher que ceux traités dans le cours inférieur. Le principal établissement des Français en Gambie était Albreda, sur la rive droite du fleuve, non loin de Fort James. Plus au sud, dans les fameuses Rivières du Sud, ils étaient établis à Bissao, Boulam et Cacheu où ils côtoyaient les Portugais. Toutefois, ils préférèrent abandonner ces établissements pour se livrer à la « traite volante » d’autant plus qu’ils ne pouvaient soutenir la concurrence avec les Luso-Africains établis de longue date dans la région et qui avaient tissé des liens très solides avec les chefs locaux. C’était dans les Rivières du Sud, zone rizicole par excellence, que le Sieur Herpin, capitaine du négrier l’Aurore, devait jeter l’ancre pour acheter du riz et des riziculteurs destinés à la Louisiane [20] . À propos de la Casamance, centre de gravité de ce royaume du riz, le sieur Pelletan notait : « on ignore quelle quantité de nègres on y traite ; mais on sait que l’on peut tirer de cette rivière une assez grande quantité de riz de très bonne qualité [21] ».
11Au nord de la Gambie, les Français avaient des comptoirs à Rufisque dans le Kajoor, à Portudal dans le Bawol, et à Joal dans le royaume du Siin [22] . En dehors de Saint-Louis, tous les établissements français situés au nord et au sud de la Gambie, jusqu’à la rivière Sierra Leone, étaient polarisés par Gorée, annexe de l’entrepôt général de Saint-Louis. Les avantages de Gorée sont évoqués par de nombreux témoignages dont celui du Sieur Pelletan, ancien directeur de la Compagnie. Selon ce dernier, dans toute la côte, depuis le port de Mogador au Maroc jusqu’à la Côte de l’or, la barre empêche le débarquement des chaloupes et même des canots qui ne peuvent entrer dans les embouchures des rivières qu’avec l’aide des pilotes praticiens du pays. Nulle part ils ne peuvent ni caréner, ni même abattre sur le côté pour réparer une voie d’eau. L’île de Gorée se trouvant protégée par la pointe avancée du Cap-Vert et à la distance d’une petite lieue de terre, offre un mouillage excellent pour les gros navires de même que des facilités pour faire de l’eau et du bois [23] . Gorée bénéficiait, de surcroît, de la protection de l’eau contre les attaques des chefs locaux et constituait ainsi un entrepôt sûr où l’on portait les marchandises et les esclaves à mesure qu’on les traitait sur la côte. Entourée de brisants et de roches, sauf dans sa partie orientale, Gorée était facilement défendable contre les assauts des concurrents européens [24] .
12À partir de 1444, Gorée fut successivement occupée par les Portugais, les Hollandais et les Anglais au gré des canonnades. En 1677, l’île fut prise aux Hollandais pour le compte des Français par le maréchal d’Estrée. Cette vive concurrence pour la possession de Gorée était due, outre les avantages évoqués, au fait que l’île conférait à la nation occupante une réelle supériorité sur le trafic négrier en Sénégambie. Les Français étaient convaincus que la possession de Gorée était le seul obstacle qui empêchait les Anglais de les expulser de toute la côte occidentale de l’Afrique. Comme les vaisseaux ne pouvaient séjourner sans danger dans la rade de Saint-Louis, ils n’y restaient dans la plupart des cas que le temps de décharger des marchandises et d’embarquer les esclaves qui s’y trouvaient. Une fois ces opérations terminées, on les faisait passer à Gorée où embarquaient la plus grande partie des esclaves traités en Sénégambie [25] . De là aux Amériques, la traversée durait environ un mois tandis que les captifs traités au-delà de la Sénégambie mettaient deux à trois mois pour effectuer le trajet. La Compagnie d’Occident, devenue Compagnie Perpétuelle des Indes depuis mai 1719 avec l’incorporation des domaines de la Compagnie de Chine et des Indes Orientales, s’était réservée le commerce du Sénégal pour deux raisons : d’une part, elle considérait que ce pays « fournit les seuls esclaves qui soient utilisables en Louisiane, la Guinée étant trop éloignée ; d’autre part, il sert de relâche aux vaisseaux qui se rendent en Guinée et ainsi rendent encore service à la traite des nègres [26] ». Guinée s’entend ici pour la côte d’Afrique située au-delà de la Sierra Leone jusqu’en Afrique centrale.
13La Compagnie des Indes était confrontée à plusieurs problèmes. Son monopole sur le commerce négrier transatlantique était battu en brèche par des armateurs privés auxquels elle s’était résolue à vendre des licences à partir de 1742 en ce qui concerne le commerce du Sénégal. La Compagnie était aussi dans un état de désorganisation tel que les navires faisaient parfois défaut pour transporter les esclaves. Il s’agit là d’un problème fort ancien car le Sieur de La Courbe l’évoquait dans un mémoire en date du 26 mars 1693, suite à un troisième séjour au Sénégal où il occupait le poste de directeur général de la Compagnie. Il reprochait à celle-ci de n’avoir jamais eu en France un directeur qui connût les marchandises, l’assortiment, les prix et les dates favorables pour la navigation. On envoyait des navires pour charger des marchandises quand les comptoirs étaient encombrés de captifs qui mouraient de maladies dans les enclos, parce qu’on ne venait pas les prendre, et l’on envoyait des négriers à une époque où, en revanche, on avait jusqu’à 50 000 cuirs qui pourrissaient faute d’avoir été enlevés [27] .
14Enfin, il y avait aussi le problème de la nourriture des esclaves dans un contexte de crise généralisée. Selon Oumar Kane, disettes et famines revenaient de façon cyclique en Sénégambie au 17e siècle, « mais le 18e siècle bat tous les records en la matière, au point qu’on peut affirmer qu’il est le siècle de la crise généralisée […] La guerre et les destructions qu’elle entraîne sont souvent à l’origine des disettes et des famines. C’est le cas en 1723, 1724 […] : la crise de subsistance s’est toujours accompagnée de la recrudescence de la traite négrière car, à côté des prises ordinaires, il arrive que les populations affamées offrent des leurs pour sauver les autres de la mort par faim. Le seul élément qui freine l’achat massif des esclaves, c’est la possibilité de les nourrir [28] ».
15Ces « maccube heege » (captifs de la faim), comme les appelaient les Fulbe du fleuve, étaient donc de ceux qui surpeuplaient les captiveries de la Concession du Sénégal où beaucoup mouraient d’inanition. À la lecture des correspondances des responsables du poste de Galam, on constate que toute la première moitié des années 1720 était marquée par la pénurie alimentaire. Dans une lettre datée du 6 août 1720, le directeur de Galam faisait état de sérieuses difficultés de ravitaillement qu’il expliquait par la guerre entre le Xaaso et le Bambuxu. Dans une autre lettre datée du 18 décembre 1723, il demandait aux responsables de la concession du Sénégal de ne point être surpris « de voir que depuis trois ans Galam n’a fourni que très peu de captifs dans la basse saison parce que le mil y a été d’une rareté étonnante [29] … ».
16Pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763), les Anglais occupent Gorée et Saint-Louis dès 1758. Lors du traité de paix de 1763 qui mit fin à la guerre, la France accepta de renoncer à son comptoir de Saint-Louis, mais parvint à faire reconnaître son droit de possession sur Gorée. Le 1er novembre 1765, un arrêté du roi d’Angleterre créait la « Province of Senegambia » avec Saint-Louis comme capitale. Ainsi, 130 ans après leur expulsion de l’embouchure du fleuve Sénégal, les Anglais parvenaient à reprendre pied dans la région, mais leur objectif était avant tout les basse et moyenne vallées du fleuve où se négociait la gomme destinée à leur industrie textile. Selon Abdoulaye Bathily, il semble que le Galam était, entre 1767 et 1774, une sorte de concession réservée à la Norton and Grace. Dans ses correspondances, ce groupe de la City déclarait n’être pas intéressé par la traite des esclaves mais par le commerce de l’or, de l’ivoire, de la cire, des cuirs et peaux [30] . Toutefois, la nomination de Charles O’Hara comme gouverneur de la « Province of Senegambia », le 1er novembre 1765, allait se traduire par la recrudescence du commerce négrier touchant particulièrement le pays wolof. Pendant dix ans, entre 1766 et 1776, Charles O’Hara s’est livré à une politique désastreuse consistant à financer les razzias des Maures sur le Kajoor, le Waalo et le Bawol. Dans le seul royaume du Waalo, les Anglais auraient récupéré plus de 8 000 esclaves en moins de six mois en 1775. Le gouverneur anglais participait lui-même au pillage des villages wolof situés sur les deux rives du fleuve. Il fut rappelé en 1776 à la suite de pétitions organisées par les marchands britanniques et la population de Saint-Louis qui l’accusaient de brutalité et surtout de trafic clandestin d’or et d’esclaves [31] .
17En 1779, l’expédition Lauzun reprenait Saint-Louis pour le compte des Français ; mais la traite de Galam était compromise du fait de l’abandon des établissements fortifiés. La Révolution de 1789 se traduisit par la disparition de la Compagnie et de ses privilèges. L’exploitation de la traite au Galam était désormais le fait de négriers individuels qui se regroupaient parfois en association. À partir de 1792, les guerres de la Révolution puis de l’Empire créèrent une atmosphère d’instabilité peu propice à l’installation des Français au Galam. D’ailleurs, c’est tout le commerce français au Sénégal qui était compromis du fait du blocus imposé par la marine anglaise pendant les guerres révolutionnaires [32] . La percée américaine au Sénégal se concrétisa davantage pendant les guerres napoléoniennes avec le blocus naval imposé par les Anglais et l’occupation de Saint-Louis par ces derniers, de 1800 à 1817.
18À partir de 1807, à la faveur de la révolution industrielle, l’Angleterre, ayant décidé d’abandonner la traite négrière (suppression généralisée par toutes les puissances européennes en 1815) et de lutter contre le trafic d’êtres humains, la traite clandestine devint alors très active dans toute la Sénégambie, notamment à Saint-Louis et Gorée. Séparée de l’Angleterre et de tout accord bilatéral avec quelque puissance que ce soit, la France feindra toujours d’agir contre la traite jusqu’en 1833, date à laquelle les deux pays signaient une convention pour la répression de la traite des Noirs. La France avait voté une nouvelle loi abolitionniste le 15 avril 1818. La traite des Noirs était légalement interdite aux nationaux, mais s’y adonner ne constituait pas un acte criminel [34] . Entre 1818 et 1848, s’étale une période de 30 ans durant laquelle des négriers français sont régulièrement mis en accusation mais sans grand dommage à cause d’une législation à la fois tatillonne et laxiste. L’ampleur du trafic négrier dans la colonie [35] avait conduit le Sieur Morénas à déposer deux pétitions à la Chambre des députés, le 14 juin 1820 et le 19 mars 1820, dénonçant l’implication de divers bâtiments français dans le commerce illégal [36] . En 1848, à la faveur de l’avènement de la IIe République, les autorités françaises mettent officiellement fin à la traite négrière et à l’esclavage dans les territoires sous leur contrôle. Mais l’esclavage subsistera au moins jusqu’aux premières décennies du 20e siècle.
Source : Cairn