Présentation de l'auteur
Né le 7 novembre 1913
à Mondovi (hameau de Saint-Paul), en Algérie française, Albert Camus est à la
fois un écrivain, un dramaturge, un essayiste, un journaliste et un philosophe
français. Il est notamment connu pour ses idées humanistes fondées sur la prise
de conscience de l'absurdité de la condition humaine et ses prises de positions
politiques. Durant la Seconde Guerre mondiale, Albert Camus est un journaliste
engagé dans la Résistance.
En 1942, il publie
son premier roman, L'Etranger, qui appartient à son cycle sur l'absurde. Il se
rapproche ensuite des courants libertaires dans l'après-guerre. Auteur de pièces
de théâtre, romans, nouvelles, films, poèmes et essais, il reçoit le prix Nobel
de littérature en 1957. Camus livre une tribune dans le journal Combat, où il
fait part de ses opinions sur des sujets aussi sensibles que le Parti
communiste d'après-guerre ou la question de l'indépendance de l'Algérie. Il
lutte sans cesse et toute sa vie contre les idéologies qui éloignent de
l'humain, il refuse donc l'existentialisme mais aussi le marxisme et le
totalitarisme soviétique, ce qui l'amène d'ailleurs à couper les ponts avec
Jean-Paul Sartre et d'anciens amis.
Résumé
Le lendemain, de retour à Alger, Meursault va nager dans la
mer et rencontre une jeune fille, Marie, une dactylo qui avait travaillé dans
la même société que lui et qu'il connaît vaguement. Le soir, ils se rendent au
cinéma puis reviennent à l'appartement de Meursault et couchent ensemble. Une
relation se développe entre eux, au cours de laquelle il ne montre pas plus de
sentiment ou d'affection envers Marie qu’à l'enterrement de sa mère.
Meursault fréquente son voisin, Raymond Sintès, connu pour
être souteneur, qui lui demande de l’aider à rédiger une lettre : il s’est
battu avec sa maîtresse qu’il soupçonne d’être infidèle et craint les
représailles de son frère. Meursault accepte.
La semaine suivante, Marie et Meursault perçoivent les
bruits d’une dispute violente entre Raymond Sintès et sa maîtresse, jusqu’à
l’intervention d’un agent. Après le départ de Marie, Raymond vient demander à
Meursault de lui servir de témoin de moralité. Il affirme au tribunal que la
maîtresse de son voisin a été infidèle et Raymond est quitte pour un
avertissement. Celui-ci invite Meursault à passer la journée du lendemain
dimanche dans le cabanon de l’un de ses amis, Masson, dans la banlieue d’Alger.
Dans le même temps, Meursault qui montre peu d'intérêt pour sa carrière, refuse
une promotion qui le conduirait à travailler à Paris. Marie lui demande de
l’épouser : il accepte, bien que cela lui soit égal.
Le dimanche, Marie et Meursault prennent le bus avec Raymond
pour rejoindre le cabanon de Masson. Ils sont suivis par un groupe d’Arabes,
dont le frère de la maîtresse de Raymond contre lequel Meursault a témoigné.
Après déjeuné, les trois hommes vont se promener sur la plage, sous un soleil
de plomb. Ils croisent à nouveau le groupe d’Arabes. Une bagarre éclate :
Raymond est blessé au visage d’un coup de couteau. En remontant au cabanon,
Meursault obtient de Raymond qu’il lui confie son révolver afin d’éviter qu’il
ne tue quelqu’un. Meursault retourne sur la plage. La chaleur est accablante.
Il rencontre un des Arabes qui sort un couteau. Meursault, ébloui par le reflet
du soleil sur la lame, sort le revolver dans sa poche puis tout s’enchaîne : «
La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et, c’est là, dans
le bruit à la fois sec et assourdissant que tout a commencé [...]. Alors, j’ai
tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans
qu’il y parût. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte
du malheur. » Ces cinq coups de revolver excluent la légitime défense et
l’homicide involontaire. Meursault ne donne au lecteur aucune raison
particulière pour son crime, le fait qu’il ait tiré sur le cadavre à quatre
reprises ou sur les émotions qu'il éprouve, mis à part le fait qu'il a été gêné
par la chaleur et la lumière du soleil.
Dans la seconde partie du roman, Meursault est incarcéré et
envisage avec détachement son procès à venir. Il est même assez indifférent à
la privation de liberté et s’habitue à l’idée de ne pas pouvoir coucher avec
Marie. Il passe son temps à dormir ou à énumérer mentalement les objets qu’il
possède dans son appartement.
Tout au long de son emprisonnement et jusqu’à la veille de
son exécution, Meursault affiche la même indifférence, semblant ne rien
ressentir. Il se sent étranger à ce qui lui arrive et ne montre au procès aucun
regret, ce qui met son avocat très mal à l’aise. On l’interroge sur son
comportement à l’enterrement de sa mère, sur les raisons de son crime. Il ne
sait que répondre que c’est à cause du soleil. Pour le procureur, Meursault est
« un homme qui tuait moralement sa mère », en la laissant dans un asile. Et il
l’accuse « d’avoir enterré une mère avec un cœur de criminel ». La justice ne
cherche pas à comprendre les motivations de Meursault. Le procureur se
concentre sur son comportement, sa personnalité, sa vie dissolue (il engage une
relation le lendemain des funérailles de sa mère dont il est indifférent), son
athéisme, son caractère asocial. Dans le contexte politique de l’époque,
l’Algérie gouvernée par la France coloniale, il aurait pu plaider la légitime
défense et être acquitté. L’avocat tente de montrer son client sous un autre
jour, loin de la réalité. Meursault l’écoute, pris de vertige : « J’étais un
honnête homme, un travailleur régulier, infatigable, fidèle à la maison qui
l’employait, aimé de tous et compatissant aux misères des autres. » La cour
rend son verdict : « Le président m’a dit dans une forme bizarre que j’aurais
la tête tranchée sur une place publique au nom du peuple français. »
Finalement, Meursault est condamné à mort, plus pour son indifférence aux
normes de la société que pour son crime.
Dans sa cellule, Meursault doit affronter l'aumônier de la
prison qu’il refuse de rencontrer, mais qui tente de prendre sa confession. Il
lui promet une autre vie s’il se tourne vers Dieu. Meursault entre dans une
grande colère et met le prélat dehors. Il est convaincu que seule la vie est
certaine et que l'inéluctabilité de la mort lui enlève toute signification.
C’est alors que, paradoxalement, se développe dans l’épilogue une autre posture
de Meursault, celle de l’attachement matériel, sensuel, à la vie. Il se
découvre surtout comme faisant partie intégrante de ce monde. Meursault est
prêt, lucide et calme, si proche de la nature et si loin des hommes. C’est à
travers la révolte, la colère, la violence que l’homme découvre l’absurdité de
la condition humaine. « Comme si cette grande colère m'avait purgé du mal, vidé
d'espoir, devant cette nuit chargée de signes et d'étoiles, je m'ouvrais pour
la première fois à la tendre indifférence du monde. De l'éprouver si pareil à
moi, si fraternel enfin, j'ai senti que j'avais été heureux, et que je l'étais
encore. Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me
restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon
exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine. »
Pour Albert Camus, la vie des individus, l'existence humaine en général, n'ont pas de sens ou d’ordre rationnel. C’est parce que nous éprouvons des difficultés à accepter cette notion que nous tentons en permanence d'identifier ou de donner une signification rationnelle à nos actes. Le terme « absurdité » décrit cette vaine tentative de l'humanité à trouver un sens rationnel là où il n'en existe pas.
Bien que dans L'Étranger Camus ne se réfère pas
explicitement à la notion de l'absurde, les principes de l'absurdité
fonctionnent dans le roman. Ni le monde extérieur dans lequel Meursault évolue
ni le monde intérieur de ses pensées, de même que son comportement, ne relèvent
d’un ordre rationnel. Meursault n’est pas logique dans ses actes, comme sa
décision de se marier ou celle de tuer l'Arabe (notamment les quatre coups de
revolver tirés dans son cadavre). Néanmoins, la société, à travers la justice,
tente de fabriquer ou d'imposer des explications rationnelles aux des actions
irrationnelles de Meursault. L'idée que les choses se passent parfois sans
raison et que les événements peuvent n’avoir aucun sens perturbe la société qui
voit là une menace. Le procès, dans la deuxième partie du roman, n’est autre
que la tentative de la société de fabriquer un ordre rationnel. Le procureur et
l'avocat expliquent le crime de Meursault en se basant sur la logique, la
raison, et la notion de cause à effet. Pourtant, ces explications n'ont aucun
fondement et ne sont que des tentatives pour désamorcer l'idée effrayante que
l'univers est irrationnel. Le livre traduit cette vaine tentative de l'humanité
d’imposer la rationalité dans un univers irrationnel.
La deuxième composante majeure de la philosophie de
l'absurde de Camus est l'idée selon laquelle la vie humaine n'a pas de sens ou
de but rédempteur. Camus fait valoir que la seule chose certaine dans la vie
est l'inéluctabilité de la mort. C’est parce que tous les êtres humains
finiront par rencontrer la mort que toutes les vies sont dénuées de sens. Tout
au long du roman, Meursault évolue progressivement vers cette révélation, mais
il n’en saisit pleinement la réalité qu'après sa dispute avec l'aumônier. Parce
que la révolte est la seule réponse à l’absurde. Il prend aussi conscience que
son indifférence au monde est corrélée par l’indifférence du monde à son égard.
Comme tout humain, Meursault est né, mourra, et n'aura plus d'importance.
L’acceptation de l'inéluctabilité de la mort libère Meursault des faux espoirs.
Celui notamment d’une vie durable, qui n’était en fait qu’un fardeau qu’il
traînait. Il est donc libre de vivre sa vie pour ce qu'elle est, et tirer le
meilleur parti des jours qui lui restent.
Joseph Vebret; l'internaute