Sibeth Diédhiou ne pouvait échapper à son destin. Fuir
jusqu’en Guinée-Bissau n’y fera rien. Elle était destinée à être reine pour
succéder à sa mère dans le Floup. A Siganar, où les souvenirs de la prêtresse
sont encore frais, sa fille, Saber Lambal Diatta, sous le poids de l’âge et de
la maladie, marche courbée en deux et parle difficilement. Avec pour seul
vêtement un pagne noué autour de la taille, des touffes grisonnantes en guise
de chevelure, elle sort avec peine de sa case. Avec peine, elle s’assoit à même
le sol à l’entrée de la véranda. «Les gens viennent souvent ici pour en savoir
plus sur ma mère Sibeth, bredouille-t-elle en Diola, traduit par notre guide.
Actuellement, je suis malade et j’y parviens difficilement, mais je vais quand
même essayer.» Sous une fine pluie, la voix chevrotante et le corps tremblant,
Saber Lambal nous apprend que sa mère Sibeth Diédhiou, née en 1915 à Siganar, était
une prêtresse choisie par Dieu pour succéder à sa mère, Ayimpène, et communier
avec les populations.
Une succession
qui ferait suite à des rêves au cours desquels un génie apparaissait à Sibeth
pour exiger qu’elle assume la fonction de reine, en prenant la place de sa mère
auprès des fétiches. Plusieurs rêves avec la même injonction que Sibeth voulut
ignorer dans un premier temps. «Elle ne voulait pas accepter au début, parce
qu’elle avait peur, explique Saber Lambal. C’était l’époque coloniale et les
populations n’étaient pas en très bons termes avec les colons.» De plus, Sibeth
se disait que les villageois ne croiraient pas que la jeune fille qu’elle était
devait devenir reine du jour au lendemain. Pour échapper à ces visions qui la
tourmentaient, elle quitta son village pour se réfugier en Guinée-Bissau. Mais
les esprits ne la lâchent pas, elle tombe gravement malade, perdant presque la
vue, et ses rêves se poursuivaient. «Les esprits lui ont fait comprendre que si
elle n’acceptait pas la charge qui lui était dévolue, elle risquait sa vie,
raconte sa fille. Le guérisseur consulté lui dit également la même chose. C’est
ainsi qu’elle fut contrainte de revenir au village et d’assumer son rôle.»
Un règne imposé
De retour à Siganar, Sibeth rassemble les habitants du
village pour leur faire part de la situation. «En ce moment, c’était
pratiquement la sécheresse, mais Sibeth révèle aux villageois les sacrifices et
prières à faire, et il y eut une pluie abondante juste après. Cela lui facilita
la tâche et les villageois crurent en elle.» Sibeth Diédhiou avait le don de
voir ses prédictions se réaliser. L’administration coloniale qui doutait de ses
pouvoirs au début, voulut lui créer des difficultés. «Les colons lui ont créé
beaucoup de problèmes, voyant en elle une menace à leur autorité, confie Saber
Lambal. Mais lorsqu’ils n’ont plus eu de doute sur ses dons surnaturels, ils
ont décidé de collaborer avec elle. Elle était une sorte d’intermédiaire entre
les villageois et l’administration coloniale.» Son règne fut d’ailleurs marqué
par sa collaboration avec les colons. Pour assurer la paix, elle convainc les
villageois d’accepter de verser le tribut en denrées alimentaires imposé par
les Européens. Mais cela ne manqua pas de créer des mécontents, qui
commencèrent à remettre en cause son autorité. Ce fut la révolte, certains
villageois voulurent se débarrasser de Sibeth. Il fallut l’intervention de
l’administration coloniale, et Sibeth se réfugia au village de Santhiaba, à
Ziguinchor, pour sauver sa vie.
Héritière
d’Aline Sitoe Diatta ?
Mais les versions de l’histoire diffèrent. Pour
certains, Sibeth Diédhiou a ‘’hérité’’ des fétiches d’Aline Sitoe Diatta. Etant
jeune, elle fit partie de la délégation de Siganar envoyée à Kabrousse (ou
Cabrousse) pour prêter allégeance à Aline Sitoe. L’on raconte qu’elle fut ainsi
initiée aux mystères et rituels des fétiches. Et au moment de la révolte du
peuple Floup, lorsque les villageois refusèrent de fournir la réquisition de riz
exigée par l’administration coloniale, avant de prendre la fuite à l’arrivée
des troupes françaises, l’histoire raconte que Sibeth, restée seule, ramassa
les fétiches de la prêtresse Aline Sitoe pour les rassembler dans sa propre
concession. Elle entretient les fétiches de sacrifices et de libations tout le
temps que dura la fuite des villageois. A la disparition d’Aline Sitoe, les
habitants regagnèrent les villages et réclamèrent à Sibeth les fétiches. Mais
celle-ci refusa, arguant que puisqu’elle seule avait eu le courage de
rassembler les fétiches et de les entretenir, au moment où les villageois les
avaient abandonnés, elle continuerait désormais à le faire. Ainsi, à la
disparition d’Aline Sitoe, Sibeth, détentrice de la totalité des fétiches,
apparut comme sa digne héritière.
Pour l’heure, il n’y a pas d’héritière connue de
Sibeth Diédhiou, morte en 1976. Sa fille, Saber Lambal, vit dans un grand
dénuement à Siganar. Ce village qui s’efforce de conserver l’héritage de son
illustre reine.
LE POUVOIR DE SOMMER LA PLUIE
Sur le plan réligieux la reine Sibet avait le pouvoir de sommer la pluie. Lors des cérémonies de sacrifices à l’intention de son fétiche appelé Emitayi, quand elle prédisait la venue imminente de la pluie, il fallait irréversiblement s’y attendre.
Fait curieux, Sibet était mouillée sous la pluie comme tout le monde, tandis que sa mère Ayimpène, de qui elle avait hérité le pouvoir, pouvait rester sous la pluie sans être touchée par une seule goutte, même s’il pleuvait à flots.
SOURCE ausenegal.com
TFM