Dans un article précédent, nous avons démontré qu'il était important de mettre sur pied des écoles africaines à l’étranger, surtout dans les pays où les communautés africaines sont fortement représentées. Il ne s’agit pas, - en tout cas pas encore - d'une école panafricaine comme celle interdite en Guadeloupe, mais d’écoles qui orientent leurs programmes vers les formations dont ont besoin les pays africains pour accélérer leur développement.
Après la publication et la diffusion de notre réflexion, plusieurs lecteurs, dans leurs commentaires, tout en reconnaissant le bien fondé d’un tel projet, ont suggéré qu’il serait d’abord nécessaire de changer les systèmes scolaires en Afrique ; la majorité n’ayant pas véritablement d’originalité épistémologique, pédagogique ou systémique.
Dans une perspective postcoloniale, il est important de clairement définir ce qui est “originellement africain” dans les systèmes éducatifs contemporains afin de pouvoir identifier et définir la valeur ajoutée qu’ils pourraient éventuellement apporter aux systèmes éducatifs et cultures étrangères dans lesquelles ces écoles “africaines” seraient implantées. Le débat sur l’identité africaine et particulièrement sur “l’africanité” est toujours en cours et ce n’est point l’objet central de notre réflexion, quoique nous y ferons indirectement allusion. Notre tâche principale, ici, est donc de proposer des pistes (six) adéquates et concrètes pour la mise en œuvre des écoles “africaines” à l’étranger.
Il s'agit ici d’identifier les pratiques pédagogiques et valeurs qui sont propres aux africains afin de s’en inspirer et d'être certain de ne pas entreprendre un projet déjà existant. Les projets de réformation des systèmes éducatifs aux réalités socioculturelles du continent ne sont pas légion mais il y a quelques cas qu’on pourrait mentionner. Par exemple, dans notre dernier article, nous avions mentionné le cas de Touba, une ville sénégalaise avec un système éducatif contextualisé et adapté aux besoins et réalités locales.
En Afrique de l’Est au Kenya, nous avons également l'école Freedom ou Freedom School, qui a conçu un programme basé sur la culture, la langue maternelle et les vêtements, le tout résumé sur le vocable “afrocentrisme”. Fondée en 2018 par Oku Kanayo, un ingénieur kényan qui a fait une partie de sa formation en Grande-Bretagne, cette école a déjà une centaine d'adeptes et selon les enseignants, les résultats sont probants. Les élèves qui passent par ce système comprennent mieux les autres disciplines héritées de la colonisation: Physique, Chimie, Espagnol etc. Compte tenu du caractère éminemment récent de cette école, il est, pour l'instant, difficile de mesurer son impact réel pour le développement du Kenya. Toutefois, c’est un exemple à encourager et qui pourrait bien être exporté hors du Kenya.
Nous reconnaissons qu’il est très ambitieux de vouloir entreprendre un système éducatif africain qui s’adapte aux réalités culturelles des pays occidentaux. Les besoins étant différents, il est important d’adapter les systèmes scolaires aux besoins ou au développement de chaque pays. L'Afrique a des défis majeurs à relever et selon les pays, il peut y avoir des différences. Nous allons démontrer cela en nous appuyant sur deux éléments : les ressources naturelles (du sol et du sous-sol) et les langues.
Prenons d’abord le cas de la Côte d’Ivoire, dont le sous-sol est pauvre, ne saurait avoir les mêmes priorités de développement que la République Démocratique du Congo (RDC), un véritable scandale géologique. Ainsi, en RDC, l’on peut orienter les formations vers l’exploitation optimale des ressources minières, fer, coltan, diamant, or, etc., alors qu’en Côte d’Ivoire, les formations pourront être davantage orientées vers les industries agricoles. Donc, si le Congo a besoin des ingénieurs en mine pour exploiter son potentiel, la Côte d'Ivoire a besoin des ingénieurs agronomes pour exploiter ses terres. Dans la même lancée, le Tchad gagnerait à former plus d'ingénieurs en énergie solaire que le Cameroun qui, avec ses nombreux cours d'eaux, pourrait avoir plus besoin d'ingénieurs en hydro-électrique, etc.
En matière de langue, un pays comme la Guinée Équatoriale gagnerait mieux à promouvoir la langue française pour mieux échanger avec ses voisins directs (Cameroun et Gabon), qui sont tous des pays francophones. Toujours dans ce sens, une école créée pour la communauté ivoirienne hors de Côte d’Ivoire devra mettre un accent particulier sur le français alors que l'école Ghanéenne se pencherait plus sur la langue anglaise…
Ces deux exemples sont la preuve que chaque pays a sa réalité et par ricochet ses difficultés. Ainsi, il serait de bon aloi de créer des systèmes qui proposent des solutions adaptées aux différents pays.
Lorsque les programmes sont clairement définis, il est important de faire des campagnes de sensibilisation afin de mobiliser les communautés ciblées. S’il s’agit d’une école camerounaise en France par exemple, les porteurs du projet devront identifier les différents groupes qui constituent la communauté camerounaise en France à travers les associations, les fora de ces différentes communautés, etc. C’est ainsi que le projet pourra atteindre la cible et bénéficier de l'engagement des membres. Les retours de certaines personnes contribueront à l'amélioration des programmes et/ou de la vision. Cette campagne d’information et de sensibilisation débouchera sur une autre campagne, celle de la mobilisation des ressources.
De nombreux projets innovants et ambitieux n’aboutissent jamais faute de financement. Un projet, qui est véritablement innovant, doit être également bancable, c'est-à-dire, suffisamment convaincant pour inciter les investissements financiers pour sa concrétisation. Ainsi dit, la sensibilisation des communautés diasporiques africaines sur un projet d’école “africaine” (camerounaise, sénégalaise, marocaine, etc.), ne sera effective que si cela débouche sur la mobilisation des ressources (financières et non financières) nécessaires.
Cette mobilisation financière est très importante afin de permettre aux porteurs du projet de maintenir une certaine autonomie dans la prise de décision et limiter l’ingérence des pays d’accueil. En effet, la main qui donne ordonne. De nombreux projets de développement en Afrique n’ont pas d’impact réel dans les communautés bénéficiaires, tout simplement parce qu’ils adressent des priorités définies en occident et non en accord avec les populations bénéficiaires. La mobilisation des ressources est un canal additionnel pour promouvoir le projet et vérifier sa robustesse auprès du public. Les gens n’investiront jamais dans des projets qui semblent voués à l’échec. Donc la mobilisation intense de capital auprès des communautés diasporiques sera un indicateur du potentiel de réussite de l’initiative et de sa réception future auprès du public.
Au Canada, une idée de création d’une école “africaine” reçut le refus de financement par l’État. Du coup, les porteurs de projet ont décidé de recourir au financement interne, auprès des ressortissants africains. Bien qu’informées, les autorités administratives du pays d’accueil n’ont aucunement l’obligation de soutenir financièrement les projets éducatifs de leurs ressortissants, sauf si ceux-ci sont alignés sur les priorités de développement local. Des divers mécanismes de financement existant, le financement participatif, dont la portée et l’impact est amplifié par le numérique, est une solution très sollicitée par les entrepreneurs.
Une fois les ressources humaines, financières et matérielles collectées, il faut se pencher sur les législations des pays d'accueil en matière de création d'écoles, surtout d'école étrangère. S’agissant particulièrement des enseignants ou du personnel, il s’agit de recruter des personnes qui partagent la vision afro-centrique du projet et pas nécessairement des ressortissants africains.
La création des écoles s’effectue selon des régulations propres à chaque pays. Dans la plupart des cas, les écoles africaines pourront être classées dans la catégorie des écoles privées. Prenons les exemples de la France et du Cameroun pour illustrer l’importance de connaître les lois en vigueur dans chaque pays.
En France, le point 2 de l’article Article L914-3 du Code de l'éducation stipule que les personnes portant un projet de création d’une école privée doivent être de nationalité française. A défaut d’avoir la nationalité française, le porteur de projet d’école “africaine” pourrait s’associer à une personne ayant la nationalité française, pour faciliter et accélérer les procédures administratives.
Au Cameroun, par
contre, la création des écoles privées doit respecter les prescriptions
prévues par le Le Décret N° 2008/3043/PM du 25 décembre 2008. Ce décret
reconnaît quatre types d'écoles privées : protestante, catholique,
laïque et islamique. L'alinéa 2 dudit décret stipule : “Les
établissements scolaires ou de formation privés appliquent les
programmes scolaires officiels. Toutefois, ils peuvent en outre
appliquer des programmes autonomes agréés par le ministre chargé de
l’Éducation de base ou du ministre chargé des enseignements secondaires,
selon le cas. ” Cette disposition autorise la mise sur pied de
programmes spécifiques, mais ceux-ci doivent être validés par le
ministère. Que ce soit en Europe, en Asie ou en Amérique, les pays ont
des réglementations spécifiques à connaître et à respecter.
C’est une chose de sensibiliser les communautés et c’est autre chose de les convaincre à envoyer leurs enfants dans des écoles nouvellement créées et dans un contexte où elles sont minoritaires. Ce recrutement doit être ouvert à tous les parents d’enfants partageant la vision. De solides stratégies de branding et communication publique seront essentielles pour générer une mobilisation massive d’élèves.
Tout comme les écoles américaines, françaises et chinoises accueillent des étrangers, les écoles africaines devront en faire autant, étant donné que leur objectif n’est pas de créer des replis identitaires, mais de fournir un cadre dans lequel, tout en s’intégrant dans leur pays d'accueil, ils contribuent au développement de leur pays d’origine.
Pour conclure, nous pouvons réitérer que la création des écoles africaines à l’étranger est une nécessité. Pour cela, des stratégies doivent être originales et adaptées. L’idéal serait d'identifier les besoins et potentialités, ensuite adapter les systèmes, trouver les moyens de mise sur pied avant de les exporter. Bien qu’il s’agisse d’un projet à long terme, il est important de démarrer maintenant avec les ressources existantes et d’améliorer de façon incrémentale, au fil du temps. Nous estimons que ces six principales étapes sont nécessaires pour la mise sur pied des “écoles africaines" à l’étranger.
Évidemment, nous nous imaginons qu’il y a probablement d’autres éléments importants pour réussir à créer des écoles africaines à l’étranger (en Afrique ou hors du continent). Et nous serons heureux de lire vos commentaires sur d’autres facteurs clés.
Thot Cursus